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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/888

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même ne le fissent périr ; elle le pleurait comme déjà tout-à-fait mort ; de tendres larmes inondaient ses joues dans la violence de sa pitié, et, se lamentant faiblement, elle poussa cette plainte d’une voix frêle

Pourquoi, malheureuse, cette angoisse me tient-elle ainsi ? Qu’il périsse, lui le premier ou le dernier des héros, que m’importe à moi ?… Pourtant, puisse-t-il s’en tirer sans dommage ! Oui, vénérable déesse Hécate, qu’il en soit ainsi ! qu’il s’en retourne dans sa patrie ayant échappé à ce mauvais sort ! Mais si c’est son destin d’être dompté dans cette lutte par les taureaux, oh ! qu’il apprenne du moins auparavant que, moi, je suis bien loin de me réjouir de son affreux malheur ! » - C’est ainsi que l’esprit de la jeune fille était la proie des soucis. »

Nous entrons ici avec Médée dans le dédale des contradictions charmantes que Virgile a si bien décrites chez sa Didon ; nous allons y marcher de plus en plus, et, pour qui sait par cœur son quatrième livre de l'Énéide, les réminiscences jailliront à chaque pas. Au reste, dès qu’on veut peindre cette passion identique et une en tous les âges, il n’y a pas de choix, il faut passer par les mêmes traits, revenir sur les mêmes symptômes ; et c’est toujours le cas de s’écrier avec la Religieuse portugaise, dans ce conseil éperdu qu’elle donnait à son trop raisonnable amant : « Mais avant de vous engager dans une grande passion, pensez bien à l’excès de mes douleurs, à l’incertitude de mes projets, à la diversité de mes mouvemens, à l’extravagance de mes lettres, à mes confiances, à mes désespoirs, à mes souhaits, à ma jalousie !… Ah ! vous allez vous rendre bien malheureux ! »

Tandis que Médée se trouble ainsi et se partage tout bas pour le héros, toutes les pensées alentour se dirigent vers elle, et conspirent à l’implorer. À peine de retour à ses vaisseaux, Jason a tenu conseil avec ses compagnons ; plus d’un se lève et s’offre, quoi qu’il arrive, à combattre et les taureaux monstrueux et les géans nés des dents du dragon. Toutefois, avant de passer outre, Argus, ce neveu de Médée, a ouvert l’avis qu’il serait bon de tâcher d’obtenir de la jeune prêtresse d’Hécate quelque charme magique pour faire face à l’épreuve : il propose d’en parler à sa mère Chalciope, cette sœur aînée et très aînée de Médée. Chalciope, de son côté, saisie de crainte pour ses enfans qui sont devenus suspects au roi son père, fait en ceci cause commune avec les étrangers, et à déjà songé à implorer sa sœur. Mais comment oser s’ouvrir à elle ? — Rien de plus heureux, on le voit, que tout ce concert extérieur qui tend à faire de Médée le personnage nécessaire. Elle-même l’ignore et lutte contre ses propres sentimens. Nous continuons de lire en son cœur :