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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/895

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ont inventé les paratonnerres. La filiation toutefois des nobles et touchantes victimes ne s’est pas interrompue, et on la poursuivrait en quelques types frappans jusqu’à nos jours : — Hélène, Ariane, Médée, Phèdre, la Simétha de Théocrite, Didon, dans l’antiquité ; chez les modernes, je ne retrouve l’amour-maladie ni chez Béatrice ni chez Laure ; mais Héloïse, celle que M. de Rémusat proclamait récemment la première des femmes, en est atteinte ; et, sans sortir de notre connaissance et de notre littérature, je retrouve quelques traits irrécusables chez un certain nombre de personnages de la réalité ou du roman (j’aime à les confondre), chez Louise Labé, chez la Religieuse portugaise, la princesse de Clèves, Des Grieux, le chevalier d’Aydie, Mlle de Lespinasse, Virginie, Velléda, Amélie. J’ai dit que Béatrice n’est point atteinte du même mal, et j’ai bien à en demander pardon à cette patrone angélique des poètes : chez Béatrice, en effet, l’amour transformé est devenu une charité, une religion ; ce n’est plus une chose humaine, une maladie sacrée, la plus noble de toutes, mais une maladie enfin. J’oserai même ajouter qu’à l’autre extrême, et dans un groupe tout différent, Mme de Warens n’est pas plus sujette à ce noble mal que Béatrice. Si l’une glorifie trop l’amour et le vaporise, l’autre le vulgarise un peu trop fréquemment, deux manières contraires, et presque également certaines, d’en sortir : dans l’un des cas, il s’élève jusqu’à être une religion ; dans l’autre, il n’est plus qu’un plaisir. Tel qu’il s’observe en lui-même à l’état de maladie, et soit qu’il éclate en la Religieuse portugaise ou en Médée, il n’est ni l’une ni l’autre de ces choses. C’est un pur mal, amer, cuisant, et qui n’a guère de gracieux que les débuts. Cela est si vrai, que le rôle de l’homme consiste plus souvent alors à le supporter qu’à le partager. L’homme se laisse faire, qu’il s’appelle Jason, Énée ou M. de Chamilly ; il profite de ce qui s’offre, sans pour cela toujours en être séduit. Prenons nos exemples dans l’antiquité, qui est à la fois plus simplement naturelle et avec laquelle on est moins tenu de rester poli. Le héros aimé de Phèdre ou de Didon est tellement en présence d’une vraie maladie et d’un fléau des dieux que, s’il résiste, il a affaire à une héroïne violente et très aisément à une femme cruelle. Et plus tard, dès qu’elle est satisfaite et guérie, il se peut même, si la femme n’a pas en elle d’aimables sentimens accessoires, si avec de la passion elle manque de sensibilité proprement dite (ce qui s’est vu quelquefois), — il se peut qu’elle ne vous reconnaisse plus et qu’elle traite comme moins qu’un. homme celui qu’elle avait mis tout à l’heure au-dessus d’un dieu. L’objet n’est