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grondez toujours, grande reine, et je pense que vous voulez vous moquer de moi en m’adressant de longs sermons. Pourquoi ne me faites-vous pas donner le fouet ? Je comprendrais cela. » L’émir Béchir me racontait qu’il avait acheté une Éthiopienne fort belle, et que le premier soir de son entrée au harem elle saisit le poignard de son maître et voulut l’en percer ; il s’élança, la frappa d’un ou deux coups de cimeterre, et l’accabla ensuite de coups de cravache ; après quoi elle lui devint si tendrement, si passionnément attachée, qu’elle ne voulut jamais qu’on la vendît, menaçant de se tuer dès qu’il était question de se défaire d’elle, et ne voulant absolument plus quitter le harem. Sans ces petites précautions politiques, nous serions pillés et égorgés dans nos lits ; j’ai su que les paysans, à mon arrivée ici, avaient formé le plan d’ouvrir le toit de ma chambre avec des pioches et d’y jeter de la paille enflammée pour m’étouffer pendant mon sommeil. Ils ne respectent ici que la force, la grandeur, la volonté inébranlable et la puissance de la cruauté. Mustapha-Pacha, que j’ai connu, ne calmait ses nerfs qu’en tuant un homme. Lorsque cette envie le prenait, ses serviteurs en étaient avertis par une espèce de râle sourd et profond qui sortait de sa poitrine comme de celle d’un tigre. On lui amenait un prisonnier qu’il dépêchait de sa main ; alors il redevenait paisible et fumait sa pipe tranquillement.

« Vous avez vu l’autre jour ce brave comte allemand, tout pétri de philanthropie et de sensibilité. Il me disait que sur les bords du Nil il avait fait la rencontre d’un aga qui traînait une femme par les cheveux et la maltraitait cruellement. Il voulut, malgré les remontrances de ceux qui l’entouraient, s’interposer en sa faveur ; la scène de Sganarelle et de sa femme se reproduisit tout entière. Elle se mit à le battre, lui jeta sa pantoufle au visage, et l’appela de tous les noms injurieux qu’elle put trouver. Mais vous n’entendrez jamais ces choses, docteur, vous qui n’êtes qu’un homme d’Europe et raisonnablement pédant. Menons le monde comme il veut qu’on le mène. Sans notre bourreau Hamaâdy, ce pauvre vieux voyageur français, M. Dana, serait mort de faim dans nos montagnes. Les brigands de ce pays lui avaient volé sa malle, ses doublons, ses papiers, et il ne savait que devenir. Quand la population du village fut réunie, Hamaâdy, par mon ordre, leur adressa ces paroles du ton le plus honnête : « Mes bons amis, le voyageur ne veut faire de mal à personne ; mais c’est ici que son argent et ses papiers ont disparu. Rendez les papiers et l’argent, et il ne vous sera rien fait. » Dieu sait quelles protestations et quels sermens répondirent à cette injonction ; les hommes criaient, et les