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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/930

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femmes plus haut que les hommes. Hamaâdy, voyant que les discours ne servaient à rien, fit chauffer ses tenailles et rougir ces petits bonnets de cuivre dont on coiffe les suppliciés. Les femmes continuaient de hurler que c’était une injustice affreuse, et Hamaâdy, choisissant celle qui criait le plus fort, insinua une aiguille rouge sous l’ongle d’un de ses doigts. « Lâchez-moi, s’écria-t-elle aussitôt, j’avouerai « tout ! » Elle confessa, le croiriez-vous, docteur ! que le fils du curé avait volé le voyageur, et qu’elle avait partagé l’argent avec lui. Ne valait-il pas mieux, dites-moi, aimable philanthrope, épouvanter et même punir cette voleuse que de laisser périr ce malheureux voyageur ? Les Orientaux, mon pauvre docteur, sont comme les femmes ; ils veulent des êtres qui les protègent, et ils reconnaissent la possibilité de cette protection à la vigueur de la main qui les châtie. Quiconque se laisse écraser est une ame vile dont ils se moquent. Ainsi ils sont venus me dire cent fois que vous aviez bon cœur ; c’est comme s’ils disaient que vous êtes un bonhomme, absolument comme s’ils vous crachaient à la figure. Voyez un peu mon messager Logmagi, comme il les traite et comme ils l’aiment ! A leurs yeux, Logmagi est plein de grace, Logmagi est délicieux, Logmagi est adorable. C’est qu’il les rosse d’importance, et chez un maître la sévérité est ici le premier devoir. »

Tout ceci la faisait respecter singulièrement, bien que sa justice orientale se trompât quelquefois ; du reste, elle s’en embarrassait peu ; elle voyait surtout l’effet à produire et sa puissance à fonder. Elle savait quelle importance sociale les Orientaux attachent au respect pour les femmes, et punissait sans pitié toute infraction à la sévère continence qu’elle exigeait de ses serviteurs. Hanah Messaad, son interprète et son secrétaire, fils d’un Anglais et d’une Syrienne, et qu’elle aimait beaucoup, vint lui dire un jour qu’un autre de ses gens, nommé Michel Toutounghi, avait séduit une jeune Syrienne du village, et qu’il les avait vus l’un et l’autre assis sous un cèdre du Liban. Toutounghi soutint que cela était faux. Lady Esther appela Hamaâdy, qui se fit escorter du barbier de Saïda (l’ancienne Sidon), et, convoquant tout le village sur la pelouse devant le château, elle s’assit sur des coussins, ayant à sa droite Messaad, à sa gauche Toutounghi, enveloppés de leur beniches et dans une attitude respectueuse. Les paysans formaient un cercle ; le barbier et l’exécuteur occupaient le centre. « Toutounghi, dit-elle en écartant de ses lèvres le tuyau d’ambre de sa pipe, vous êtes accusé par Messaad d’une liaison criminelle avec Fathoum Aïesha, fille syrienne, qui est là devant moi. Vous le niez. — Vous autres, Continua-t-elle en s’adressant aux paysans, si vous savez quelque