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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/976

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de l’état, les canaux par lesquels passent les bienfaits d’un gouvernement stable et régulier, les forces animées qui donnent la vie aux résolutions abstraites des grands pouvoirs. Les fonctionnaires tiennent une grande place dans toute organisation politique. En France, leur nombre est immense et leur part d’action considérable : conséquence nécessaire d’un système administratif qui confère à l’autorité centrale les plus vastes attributions, et d’institutions politiques qui organisent partout un contrôle auprès du pouvoir public, tenu dans un état permanent de suspicion. D’autres causes ont contribué aux mêmes résultats. Une longue intervention du gouvernement dans presque toutes les affaires a fait perdre aux citoyens l’habitude des efforts personnels et le sentiment de la responsabilité. On se dérobe à toute initiative individuelle. On attend d’autant plus du gouvernement qu’on est disposé à lui laisser davantage, et si l’on se plaît à le critiquer beaucoup, on cherche peu à se substituer à lui. L’état des familles et des fortunes favorise cette tendance : plus d’opulens patrimoines toujours prêts à faire à l’état une généreuse concurrence dans l’accomplissement de certains services publics ; la règle des partages divise les héritages et disperse les longs produits du travail ou de l’épargne. Plus de noms illustres consacrés à des œuvres de patriotisme ; un besoin d’égalité jaloux les écarte ou les inquiète. Plus d’associations religieuses avec d’immenses revenus et un vaste patronage ; les lois les condamnent, les mœurs élèvent une barrière entre elles et les intérêts de ce monde. Le labeur de chacun se concentre dans le développement de son propre bien-être et la contemplation de ses intérêts domestiques. Dans ce naufrage de la grande propriété, des influences héréditaires, des vocations pieuses et du patriotisme individuel, la tâche du gouvernement s’accroît sans cesse, et avec elle le nombre et l’importance des fonctionnaires. Nos plus chers intérêts reposent entre leurs mains ; leurs fautes peuvent tarir les sources de la prospérité publique et leurs talens les vivifier.

Partout la condition des fonctionnaires préoccupe vivement les hommes d’état et les gouvernemens. Toutefois d’autres pays nous offrent peu d’exemples applicables à la nature de nos institutions et conformes au génie de la France. La démocratie des États-Unis, si défiante envers l’autorité publique, si prompte, dans sa mobilité capricieuse, à sacrifier le petit nombre des agens non électifs aux exigences des majorités, ne peut offrir des modèles compatibles avec notre système de centralisation, avec notre respect délicat des situations privées. Le régime de la Russie, où l’administration est constituée à