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Nous avons épuisé le chapelet de femmes que Méléagre nous avait composé tout d’abord, et il ne nous reste plus qu’Héliodora : c’est celle aussi, le dirai-je ? qu’il paraît avoir le plus aimée, et il ne l’a pas appelée seulement par métaphore l’ame de son ame. Il n’est pas dit qu’elle fît des vers comme Zénophila, mais elle avait également le doux langage, la voix pareille à un chant ; elle possédait la grace enchanteresse et cette Persuasion ou séduction (Pitho), déesse ou fée que j’ai cru déjà ne pouvoir bien exprimer que par le charme. Il nous a parlé une fois de son petit pied, de sa sandale élégante, ce qui ne gâte rien. Il nous a dit en six vers dont le rhythme seul pourrait figurer la légèreté, l’entrelacement et l’abondance : « Je tresserai la violette blanche, je tresserai le tendre narcisse avec les myrtes, je tresserai les lis rians, je tresserai le safran suave, et encore l’hyacinthe pourpré, et aussi je tresserai les roses chères à l’amour, afin que, sur les tempes d’Héliodora aux grappes odorantes, la couronne frappe de ses fleurs les belles boucles de sa chevelure. » - J’aime à croire que ce ne fut que dans les débuts de sa liaison qu’il doutait assez de cette chère Héliodora pour s’écrier, tandis qu’il se dirigeait le soir vers sa demeure : « Astres, et toi, Lune qui brilles si belle aux amans, Nuit, et toi, petit instrument compagnon des sérénades, est-ce que je la trouverai encore l’amoureuse, sur sa couche, tout éveillée et se plaignant à sa lampe solitaire ? ou bien en a-t-elle un autre à ses côtés ? Au-dessus de sa porte, alors, je suspendrai ces couronnes suppliantes, non sans les avoir fanées auparavant de mes larmes, et j’y inscrirai ces mots : A toi, Cypris, Méléagre, l’initié de tes jeux, a suspendu ici ces dépouilles de sa tendresse[1] ! » - Une autre fois, s’adressant suivant l’usage à la lampe, il la suppliait de s’éteindre plutôt que de favoriser de sa clarté les plaisirs d’un autre, et il souhaitait de plus que cet autre tombât tout d’un coup accablé de sommeil, comme ce beau dormeur Endymion, lequel, on le sait, ne sentait pas son bonheur. Mais de tels vœux et de telles plaintes, qui supposent si aisément l’infidélité de l’amante, sont trop ordinaires à tous les élégiaques antiques ; ce qui nous peut indiquer que l’amour de Méléagre pour Héliodora s’est élevé à quelque chose de plus particulier et de plus senti dans l’ordre du cœur, ce sont des accens comme ceux-ci ; il est à table avec ses amis, les coupes circulent, la joie déborde ; lui, il regrette celle qui la veille, était à ses côtés : « Verse, et dis encore, encore, encore, à

  1. Cette épigramme ne porte pas le nom d’Héliodora, mais elle est toute pareille à d’autres où cette maîtresse est nommée, et dont elle peut tenir lieu.