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Héliodora ! dis, mêle ce doux nom au pur nectar. Et, en souvenir d’elle, attache-moi cette couronne d’hier tout humide de parfums. Vois, la rose amoureuse est en pleurs, de ne plus la sentir ici, de ne plus la voir sur mon sein ! » Un autre jour, un matin qu’il est près d’elle et qu’il est heureux, il dit à l’abeille qui voltige : « Abeille qui vis de fleurs[1], pourquoi me viens-tu toucher le corps d’Héliodora, quittant pour elle les calices du printemps ? Est-ce que par là tu veux me faire entendre qu’elle a sans cesse en elle l’aiguillon doux et insupportablement amer de l’amour ? Oui, je le pense, ce n’est que cela que tu veux me dire. O amoureuse Abeille, tu peux t’en retourner : il y a long-temps que nous savons ton message. »

Héliodora meurt, elle meurt jeune, et Méléagre exhale ses regrets dans une pièce toute pleine de sanglots, qui ne se peut reproduire ici que bien faiblement. Il supplie, avec le cri de la tendresse, la terre d’être légère à celle qui, tant qu’elle vécut, l’a si légèrement foulée : « Je t’offre mes larmes là-bas jusqu’à travers la terre, Héliodora, je te les offre comme reliques de tendresse jusque dans les Enfers, des larmes cruelles à pleurer ! et sur ta tombe amèrement baignée je verse en libation le souvenir de nos amours, le souvenir de notre affection car tu m’es chère jusque parmi les morts ; et moi, Méléagre, je m’écrie pitoyablement vers toi, stérile hommage dans l’Achéron ! Hélas ! hélas ! où est ma tige si regrettable ? Pluton me l’a enlevée, il me l’a enlevée, et la poussière a souillé la fleur dans son éclat. Mais je te supplie à genoux, ô Terre, notre nourrice à tous, d’embrasser dans ton sein, ô mère, d’embrasser doucement cette morte tant pleurée. »

Cette pièce, après la mort d’une amante, m’a involontairement rappelé les suprêmes sonnets de Pétrarque, de qui la pensée m’est encore revenue plus d’une fois en lisant Méléagre. Il y a entre eux deux tout l’abîme qui sépare le christianisme épuré et le paganisme sans frein. Pourtant, l’oserai-je dire ? plus d’un rapprochement m’a frappé pour le style, pour le goût. Méléagre est déjà subtil (car je ne prétends pas dissimuler ses défauts), il l’est comme Ovide le sera, et bien plus qu’Ovide ; il l’est comme on le sera plus tard dans les sonnets, dans les madrigaux les plus raffinés. Ce n’est pas seulement parce qu’il joue sur les noms de ses maîtresses, parce qu’étant un jour amoureux d’une certaine Tryphéra, il dit qu’elle est une Scylla, à peu près comme si Mlle de Scudéry disait que la princesse de Tendre a un cœur de roche[2] ; il ne s’en tient pas à ces gentillesses : il est telle épigramme

  1. Mot à mot, qui es au régime des fleurs.
  2. Tryphéra, en effet, veut dire tendre.