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d’un jugement de cour d’assises. Les journaux mexicains avaient malheureusement publié toutes les pièces de cette discussion ; ils s’épuisaient chaque jour en commentaires outrageans pour notre ministre. Ceux même qui n’avaient pas approuvé les exécutions de Tabasco s’accordaient à soutenir que M. de Cyprey ne devait point s’immiscer dans une question qui ne le regardait pas, et dès-lors on commença à pratiquer contre lui l’odieux système de calomnies dont nous avons vu récemment les déplorables conséquences.

Sur ces entrefaites, on publia un rapport du général Ampudia, dont nous ne citerons ici que la conclusion : « Des tinterillos, des guisacheros (des écrivassiers, des gâte-papiers) prétendent que les étrangers légalement punis à Tabasco n’étaient point coupables ; erreur d’une conscience de mauvaise foi ! Ce qui prouve qu’ils l’étaient, c’est qu’ils blasphémaient dans la chapelle, et que dans les derniers momens de leur existence ils firent de la maison de Dieu un lieu de festin et d’orgie. » Toute la république s’émut en apprenant cette conduite sacrilège, et désormais on ne douta plus de la culpabilité de nos compatriotes. L’armée entra en fureur. Dans une pétition signée par les caporaux et les sergens de la division de Jalapa, on demandait que le baron de Cyprey fût rappelé à l’ordre, et on menaçait la France, si elle osait soutenir son ministre, de renouveler les triomphes de Vera-Cruz, de flétrir encore les lauriers d’Austerlitz et d’Iéna. De toutes parts on s’ingéniait à prouver que le Mexique pouvait entrer en lutte avec la France[1]. Il s’en fallut de peu que la république tout entière ne prît les armes pour conquérir notre pays ; heureusement il lui manquait une flotte, et l’Atlantique sauva la France !

Jamais du temps de M. Deffaudis la haine contre les Français n’avait trouvé de si furieuses expressions ; on sentait que la guerre avait passé par là. Dans les provinces, l’exaspération eut des suites plus graves : les autorités, les soldats, la populace, se portèrent à de coupables excès sur nos compatriotes. L’attentat de Mazatlan vint mettre le comble à ces violences. On n’ose retracer les ignobles outrages dont fut abreuvé un Français saisi par une patrouille à la suite d’une querelle avec un soldat mexicain. Notre consul à Mazatlan, M. Guéroult, dont les honorables qualités avaient gagné l’estime des Mexicains eux-mêmes, s’empressa de protester contre le traitement illégal infligé à un compatriote ; sa protestation, remise entre les mains du général Mozo, gouverneur de la ville, ne reçut même pas de réponse écrite ; on fit

  1. Quelques citations suffiront pour donner la mesure de ces rodomontades. Le Censor de Vera-Cruz prétendit que l’amiral Baudin et le prince de Joinville avaient pris une course de cerf devant Santa-Anna ; le Diario del Gobierno soutint que les Gaulois avaient été chassés par Camille ; enfin le Lucero de Tacubaya osa écrire que l’amiral, qui, du reste, avait déjà été châtié par une autre puissance, puisqu’il était manchot, était venu recevoir à Vera-Cruz une dernière, mais terrible leçon !