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et nous ne croyons pas que, quant à présent du moins, il y ait un péril imminent pour la paix.

Les Américains, il faut en convenir, font souvent beaucoup plus de bruit que de mal ; ils font des démonstrations non suivies d’effet. Ainsi, l’incorporation immédiate du territoire de l’Orégon est votée par la chambre des représentans. On sonne la cloche d’alarme, on croit que la guerre va éclater et qu’il faut se préparer à entrer en campagne. La question cependant passe de la chambre des représentans au sénat, et ici la scène change. Le sénat est le pouvoir modérateur ; il est composé d’hommes plus calmes et plus sages ; il aime mieux dénouer que trancher, et il rejette le bill adopté par l’autre chambre. Cela arrive presque chaque année ; plusieurs fois déjà la plus jeune chambre a voté la conquête de l’Orégon sur le papier, et autant de fois le sénat l’a ramenée à la raison. Nous sommes fort tentés de croire qu’il en sera encore ainsi cette fois ; nous croyons même que la chambre des représentans compte sur le refus du sénat, et qu’elle se donne ainsi la gloriole de faire une manifestation belliqueuse, sachant bien qu’elle n’aboutira à rien.

Ainsi donc, lors même que le président, dans son message, déclarerait positivement l’intention des États-Unis de réclamer la totalité du territoire contesté, il ne faudrait pas encore croire qu’une guerre avec l’Angleterre est au bout de sa phrase. Il est très probable que M. Polk recommandera l’occupation du territoire et l’établissement de postes militaires, il est très probable aussi que la chambre des représentans adoptera un bill à cet effet ; mais il est encore plus probable que le sénat rejettera le bill, et que tout se bornera là.

M. Polk le sait ; il n’est peut-être pas plus pressé qu’un autre de se charger de la responsabilité d’une guerre avec la Grande-Bretagne, et, s’il se compromet dans son message, c’est qu’il est obligé, par sa position électorale, de courtiser les états de l’ouest. C’est ce côté de l’Union américaine qui domine aujourd’hui, et sa domination ne fera que s’accroître d’année en année. Si le nord et le sud faisaient cause commune, ils pourraient résister à cet ascendant croissant ; malheureusement ils ont des intérêts séparés et même hostiles. Pendant que le nord s’oppose inutilement à l’extension territoriale du sud, le sud, à son tour, combat le tarif par lequel les états manufacturiers veulent protéger leur industrie. L’ouest intervient et apporte avec lui la majorité, et c’est ainsi qu’il a fait consommer l’incorporation du Texas. En ce moment, le sud est satisfait, et c’est peut-être ce qui ajournera la solution de la question de l’Orégon. Ayant eu sa part, il n’est plus si pressé d’agir, et il ne voudra pas risquer une guerre pour une conquête qui ne profiterait qu’à l’ouest.

En attendant, l’ouest pousse les hauts cris, et les organes du président Polk répètent à l’envi ses plaintes. Le commerce du territoire de l’Orégon, qui consiste en fourrures, est monopolisé par la compagnie anglaise de la baie d’Hudson, qui a envoyé dans ces contrées, deux fois grandes comme la