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ses insinuations burlesquement sceptiques sur les jambes cagneuses d’Hélène, sur la bouche trop fendue de Tyro, comme sur la taille bancale d’Alcmène, semblent-elles indiquer un penchant marqué à expliquer humainement toute mythologie, à supprimer le surnaturel des mythes et des religions. Pour comprendre comment Lucile était déjà enflammé contre le génie des superstitions de ces sombres colères qui devaient se déchaîner bientôt dans le magnifique poème De la Nature des Choses, il suffit d’entendre avec quel dédain sont traitées dans ses vers les croyances populaires aux Lamies et aux monstres, toutes ces folles terreurs semées à dessein dans la foule par une politique intéressée. Je regrette bien qu’André Chénier n’ait pas, comme il le projetait, traduit cette belle comparaison ; il nous suffira sans nul doute de citer ses vers pour donner un équivalent :

Ut pueri infantes credunt signa omnia ahena
Vivere, et esse homines : sic istic[1] omnia ficta
Vera putant, credunt signis cor inesse ahenis.
Pergula pictorum, veri nihil, omnia ficta.

« Comme les petits enfans qui croient que toutes les statues d’airain vivent et sont des hommes, ainsi pour ces gens-là toutes les chimères sont des vérités, et ils s’imaginent que, dans ces simulacres d’airain, il y a une ame. Galerie de peintre, rien de vrai, chimères que tout cela ! »

C’est le souffle d’un poète : à la force encore inculte de cette diction, à la vigueur de ces touches, je reconnais un précurseur de Lucrèce.

On sait avec quelle libre gaieté Plaute, dans l’Amphitryon, avait montré Jupiter en déshabillé, l’Olympe en goguette. Et pourtant c’est ce grand écrivain qui, dans un vers mémorable, proclamait sur la scène, deux siècles avant le christianisme, l’unité de Dieu et l’intervention de la Providence dans les affaires humaines :

Est profecto Deus qui quae nos gerimus auditque et videt[2].


Lucile aussi s’est moqué des divinités du paganisme, mais on n’a pas de lui un vers comme celui de Plaute.

L’assemblée grotesque des dieux qu’il avait mise en scène dans sa première satire n’était qu’un coup terrible porté à la pluralité de dieux. Autant qu’on peut le deviner, le dessin de cette composition

  1. Istic, vieille forme, pour isti.
  2. Capt., 242.