Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce qui est certain, ce qu’il faut dire, c’est que la patience de l’Allemagne était à bout ; et que tous les journaux, piétistes, rationalistes, constitutionnels, démocrates, ne poussèrent qu’un seul cri. La Gazette de Mannheim, la Gazette d’Elberfeld, la Gazette de Leipsig, surtout les Feuilles patriotiques de Saxe, commencèrent hardiment l’attaque. Des brochures, des livres, parurent coup sur coup ; les ouvrages de M. Marx étaient vivement et savamment réfutés ; deux professeurs de l’université de Bonn, M. Gildermeister et M. de Sybel, dans un volume sur la tunique de Trêves ; suivaient l’histoire de la tunique avec une érudition très précise, et mettaient en pièces le système de leur adversaire. Il était évident que la lutte pouvait désormais s’engager, et que si les partis politiques attendaient une occasion pour agir à l’ombre, cette occasion était venue.

Il y avait alors en Silésie, à Laurahütte, un prêtre, jeune encore, et déjà engagé dans de sérieuses querelles avec ses chefs. M Jean Ronge était entré dans les ordres depuis 1841i. S’il faut ajouter foi aux confessions bien prétentieuses qu’il a publiées récemment, il était bien mal préparé à des fonctions si hautes. Il n’avait souffert qu’en frémissant le joug de l’éducation ecclésiastique, le séminaire lui était odieux, il n’y voyait qu’hypocrisie et abrutissement. Pour qui donc persistait-il ? Pourquoi recevait-il, quelques années après, la consécration définitive ? Était-ce simplement faiblesse, crainte du scandale ? était-ce, comme chez Jocelyn, dévouement envers sa pauvre famille ? Je regrette d’écrire ici ce noble nom de Jocelyn ; mais M. Ronge voudrait nous faire entendre qu’il a été victime à la manière de ce glorieux modèle, et il faut bien connaître le rôle emphatique qu’il se donne. Faiblesse ou dévouement, la vérité est qu’il fut ordonné prêtre, et qu’il n’était guère capable des héroïques sacrifices du sacerdoce. Écoutez ce qu’il pensait au moment de son ordination. « O Rome ! (c’est M. Ronge qui parle ainsi dans sa Justification) Ô Rome ! tu mêles à l’huile sainte qui consacre le prêtre un poison terrible qui tue en lui la dignité de l’homme. On ne me regardait plus qu’en tremblant, comme si j’étais devenu tout à coup une créature plus qu’humaine. Et comment étais-je ainsi transfiguré ? Parce que le pape m’avait exclu de la société de mes semblables : Oh ! non, je n’étais pas une créature meilleure. Je n’étais qu’un esclave condamné à tromper ses frères par de pieuses jongleries. Telles mes pensées, tel était le sombre abattement de mon ame, tandis que, paré comme une victime, on m’introduisait dans l’église avec tout le cérémonial de Rome. Le souvenir de mon père, de mes