frères ; de mes sœurs, les préjugés du monde catholique, qui est obligé de croire à l’éternité de la servitude romaine, énervaient mon esprit et mon cœur… Mais au moment même où l’on rivait ma chaîne, je ne sais quel pressentiment me disait qu’un jour ces fers seraient brisés ; c’était comme un faible rayon dans la nuit de mon cachot. » Le style de M. Ronge ne vaut pas mieux que sa conduite, et sa Justification ne justifie absolument rien ; c’est la sotte emphase d’un personnage sans caractère, jeté en avant par les partis, et qui s’obstine à se prendre au sérieux avec une satisfaction par trop naïve. A coup sûr, M. Ronge sera abandonné demain ; les intérêts sérieux qui s’agitent ici sauront bien à la fin se montrer à visage découvert : M. Ronge ne paraît pas s’en apercevoir, il n’est question que de lui, c’est lui qui a tout fait, c’est lui qui a soulevé l’Allemagne entière. Voilà un Luther nouveau, aussi grand, aussi puissant que le docteur de Wittemberg ! Sa mission est si haute, qu’il a jugé convenable de l’expliquer au monde ; M. Ronge se raconte et s’étudie lui-même avec une complaisance sans égale. Nous possédons déjà ses mémoires ; les plus secrètes pensées du révélateur nous sont exposées dans un langage moitié romanesque et moitié biblique ; pêcheurs, laissons là nos filets, et suivons-le. Mais n’anticipons pas sur ce qui va se passer tout à l’heure. Voilà donc M. Ronge engagé dans les ordres ; on l’envoie dans la petite ville de Grottkau avec le titre de chapelain. L’année d’après ; en 1842, une polémique s’élève dans le diocèse de Breslau : l’abbé Knauer avait été élu évêque par le chapitre de la cathédrale, selon l’usage allemand ; mais le nouvel élu avait des ennemis qui intriguèrent à Rome, et le pape refusait de confirmer l’élection. Cela durait depuis un an déjà, et il y avait deux ans que l’ancien évêque était mort. Ces lenteurs du saint-siège excitèrent dans le bas clergé de vifs mécontentemens. M. Ronge cherchait depuis long-temps un prétexte de révolte ; celui-là était trop favorable pour qu’il ne le saisît pas. Un journal protestant les Feuilles patriotiques de Saxe, publièrent bientôt un violent article intitulé Rome et le Chapitre de Breslau, et signé : un Chapelain. C’était le chapelain de Grottkau, M. Jean Ronge. Quelques mois après, M. Ronge, suspendu et forcé de quitter Grottkau, était relégué dans un petit village de la haute Silésie, à Laurahütte, où il devait s’occuper de l’éducation des enfans.
C’est là qu’il vivait depuis plus d’un an, irrité, comme on pense bien, et méditant peut-être une vengeance éclatante, quand les fêtes de Trèves vinrent lui en donner l’occasion. Est-ce lui seul qui répondit librement à l’appel des circonstances ? Ne fut-il pas poussé à la révolte