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qui arrêta la vieille aussitôt. Je me tournai vers mon guide, et, d’un signe imperceptible, je lui fis comprendre qu’il n’avait rien à m’apprendre sur le compte de l’homme avec qui j’allais passer la nuit. Le souper fut meilleur que je ne m’y attendais. On nous servit, sur une petite table haute d’un pied, un vieux coq fricassé avec du riz et force pimens, puis des pimens à l’huile, enfin du gaspacho, espèce de salade de pimens. Trois plats ainsi épicés nous obligèrent de recourir souvent à une outre de vin de Montilla qui se trouva délicieux. Après avoir mangé, avisant une mandoline accrochée contre la muraille, il y a partout des mandolines en Espagne, je demandai à la petite fille qui nous servait, si elle savait en jouer. — Non, répondit-elle ; mais don José en joue si bien !

— Soyez assez bon, lui dis-je, pour me chanter quelque chose ; j’aime à la passion votre musique nationale.

— Je ne puis rien refuser à un monsieur si honnête, qui me donne de si excellens cigares, s’écria don José d’un air de bonne humeur ; et, s’étant fait donner la mandoline, il chanta en s’accompagnant. Sa voix était rude, mais pourtant agréable, l’air mélancolique et bizarre ; quant aux paroles, je n’en compris pas un mot.

— Si je ne me trompe, lui dis-je, ce n’est pas un air espagnol que vous venez de chanter. Cela ressemble aux zorzicos que j’ai entendus dans les Provinces, et les paroles doivent être en langue basque.

— Oui, répondit don José d’un air sombre. Il posa la mandoline à terre, et, les bras croisés, il se mit à contempler le feu qui s’éteignait avec une singulière expression de tristesse. Éclairée par une lampe posée sur la petite table, sa figure, à la fois noble et farouche, me rappelait le Satan de Milton. Comme lui peut-être, mon compagnon songeait au séjour qu’il avait quitté, à l’exil qu’il avait encouru par sa faute. J’essayai de ranimer la conversation, mais il ne répondit pas, absorbé qu’il était dans ses tristes pensées. Déjà la vieille s’était couchée dans un coin de la salle, abritée derrière une couverture trouée tendue sur une corde. La petite fille l’avait suivie dans cette retraite réservée au beau sexe. Mon guide alors, se levant, m’invita à le suivre à l’écurie ; mais, à ce mot, don José, comme réveillé en sur saut, lui demanda d’un ton brusque où il allait.

— À l’écurie, répondit le guide.

— Pourquoi faire ? Les chevaux ont à manger. Couche ici, monsieur le permettra.

— Je crains que le cheval de monsieur ne soit malade ; je voudrais que monsieur le vit : peut-être saura-t-il ce qu’il faut lui faire.

Il était évident qu’Antonio voulait me parler en particulier ; mais je