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ne me souciais pas de donner des soupçons à don José, et, au point où nous en étions, il me semblait que le meilleur parti à prendre était de montrer la plus grande confiance. Je répondis donc à Antonio que je n’entendais rien aux chevaux, et que j’avais envie de dormir. Don José le suivit à l’écurie, d’où bientôt il revint seul. Il me dit que le cheval n’avait rien, mais que mon guide le trouvait un animal si précieux, qu’il le frottait avec sa veste pour le faire transpirer, et qu’il comptait passer la nuit dans cette douce occupation. Cependant, je m’étais étendu sur les couvertures de mulet, soigneusement enveloppé dans mon manteau, pour ne pas les toucher. Après m’avoir demandé pardon de la liberté qu’il prenait de se mettre auprès de moi, don José se coucha devant la porte, non sans avoir renouvelé l’amorce de son espingole, qu’il eut soin de placer sous la besace qui lui servait d’oreiller. Cinq minutes après nous être mutuellement souhaité le bonsoir, nous étions l’un et l’autre profondément endormis.

Je me croyais assez fatigué pour pouvoir dormir dans un pareil gite ; mais, au bout d’une heure, de très désagréables démangeaisons m’arrachèrent à mon premier somme. Dès que j’en eus compris la nature, je me levai, persuadé qp’il valait mieux passer le reste de la nuit à la belle étoile que sous ce toit inhospitalier. Marchant sur la pointe du pied, je gagnai la porte, enjambant par-dessus la couche de don José, qui dormait du sommeil du juste, et je fis si bien que je sortis de la maison sans qu’il s’éveillât. Auprès de la porte était un large banc de bois ; je m’étendis dessus, et m’arrangeai de mon mieux pour achever ma nuit. J’allais fermer les yeux pour la seconde fois, quand il me sembla voir passer devant moi l’ombre d’un homme et l’ombre d’un cheval, marchant l’un et l’autre sans faire le moindre bruit. Je me mis sur mon séant, et je crus reconnaître Antonio. Surpris de le voir hors de l’écurie à pareille heure, je me levai et marchai à sa rencontre. Il s’était arrêté, m’ayant aperçu d’abord. — Où est-il ? me demanda Antonio à voix basse.

— Dans la venta ; il dort ; c’est qu’il n’a pas peur des punaises. Pourquoi donc emmenez-vous ce cheval ?

Je remarquai alors que, pour ne pas faire de bruit en sortant du hangar, Antonio avait soigneusement enveloppé les pieds de l’animal avec les débris d’une vieille couverture.

— Parlez plus bas, me dit Antonio, au nom de Dieu ! Vous ne savez pas qui est cet homme-là. C’est José Navarro, le plus insigne bandit de l’Andalousie. Toute la journée je vous ai fait des signes que vous n’avez pas voulu comprendre.