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en ne consultant que nos impressions personnelles, nous devons dire que cette démonstration nous a surpris par sa promptitude. Peut-être faut-il regretter, pour le succès même de l’œuvre entreprise par les deux puissances, qu’elles en soient venues si vite à cette extrémité, et que les négociations n’aient pas été plus long-temps suivies.

On sait quel est le but de la médiation entreprise en commun par la France et l’Angleterre. Il s’agit de faire cesser la guerre qui règne depuis plusieurs années sur une des rives de la Plata, et d’amener un arrangement durable entre Buenos-Ayres et Montévidéo d’une part, de l’autre entre les partis qui divisent ces deux républiques. Il est en effet à remarquer que ce n’est pas le triomphe de tel ou tel des combattans sur l’autre qui importe le plus aux puissances médiatrices ; ce qu’elles veulent avant tout, c’est une paix durable, car c&rsquo ; est la guerre qui arrête le commerce et compromet la fortune et la vie des milliers de résidens anglais et français qui habitent ces parages. Amener un arrangement quelconque entre Buenos-Ayres et Montévidéo n’est pas impossible : la France et l’Angleterre en viendront à bout ; mais faire que cet arrangement ne soit pas aussitôt violé que conclu, voilà ce qui présente de grandes difficultés.

Il y a des gens qui croient avoir tout dit quand ils ont déclamé contre Rosas. Le gouverneur de la République Argentine est à coup sûr un barbare, un gaucho parvenu, dont les manières seraient fort étranges, pour ne pas dire plus, s’il était appelé à gouverner un peuple européen : nous irons même plus loin, et nous dirons qu’il serait à désirer, pour l’honneur de l’Amérique et dans l’intérêt général de l’humanité, qu’un pareil homme ne fût porté nulle part au gouvernement de son pays ; mais, que ce soit à tort ou à raison, Rosas est le maître de Buenos-Ayres, il l’est depuis quinze ans sans contestation et par une série de réélections successives, il a triomphé de tous les efforts réunis contre lui tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, il a survécu même à une guerre avec la France. Pour quiconque est de bonne foi, voilà des preuves suffisantes que cet homme représente quelque chose, qu’il est le produit naturel des idées et des besoins du pays ; et si cette partie de l’Amérique du Sud, livrée à elle-même, se donne un chef si différent de ceux qui dirigent les autres peuples, c’est qu’apparemment cette contrée est elle-même fort différente de toutes les autres. Là est en effet tout le mystère, l’homme explique le pays, comme le pays explique l’homme ; Buenos-Ayres est une république de gauchos qui se gouverne par un gaucho.

Nous devons d’ailleurs le dire par sentiment de justice et par respect pour la vérité, il y a beaucoup d’exagération dans ce qui s’imprime tous les jours sur le compte de Rosas, et sur les mauvais traitemens infligés aux étrangers sur le territoire argentin. Il n’est pas vrai que les étrangers soient traités à Buenos-Ayres comme des ennemis. Ce qui le prouve, c’est le grand nombre de ceux qui vont s’y établi. On dit qu’avant, la guerre il y avait vingt mille étrangers à Montévidéo, on pourrait ajouter qu’il y en avait bien dix mille à Buenos-Ayres. Tandis que dans le reste de l’Amérique on dispute