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son attitude une noblesse, une fierté singulières. Pendant le premier moment de désordre, il avait ordonné à ses caidji de se tenir à distance. Quand tout fut embarqué à bord, et qu’il vit le Rhamsès prêt à partir, il fit signe d’accoster, et, montant le premier l’échelle, il donna successivement la main à six femmes voilées dont les longs dominos blancs n’empêchaient de deviner ni la jeunesse ni la beauté. Le jeune Arabe, sans paraître le moins du monde embarrassé, conduisit ses odalisques dans une chambre de l’avant, mit en faction à leur porte un nègre bizarrement costumé, et revint s’asseoir sur le pont, où un autre esclave lui présenta un riche narghilé.

Rien ne ressemble moins à nos fortifications régulières que le fort de Gallipoli, devant lequel nous passâmes bientôt, et les autres châteaux des Dardanelles, qui devraient faire de Constantinople le point le plus inexpugnable du monde. Ce sont de grands bâtimens d’une éclatante blancheur, troués de sabords semblables à ceux des navires et armés de vieux canons, la plupart sans affûts, servis ordinairement par un seul artilleur, auquel on adjoint trois ou quatre paysans en temps de guerre. De nos jours, cependant, ces batteries ont fait leurs preuves, et peut-être n’est-il pas sans intérêt, en ce temps-ci, de montrer quelle était, il y a une trentaine d’années, la situation politique de la France en Orient. On sait qu’au mois de février 1807, le gouvernement anglais ; irrité de l’influence croissante que prenait auprès du divan le général Sébastiani, notre ambassadeur, et voulant à tout prix forcer la Porte à se réunir aux puissances liguées contre la France, ordonna à l’amiral Duckworth d’aller avec son escadre porter la menace jusque sous les murs du sérail. On sait aussi quel fut, grace à la belle conduite du général Sébastiani, le dénouement de cet étrange coup de main. Après avoir passé sans peine devant les châteaux alors désarmés des Dardanelles, après avoir incendié devant Gallipoli la flotte ottomane, dont les équipages célébraient paisiblement à terre la fête du Courban-Beïram, l’amiral anglais se présenta devant Constantinople, menaçant de bombarder la ville, si le sultan n’acceptait pas des conditions qui eussent fait de lui le vassal de l’Angleterre et de la Russie ; mais la fermeté du général Sébastiani s’était communiquée au sultan, à la population entière. Sélim répondit à l’envoyé anglais qu’il ne traiterait pas avant que la flotte eût repassé les Dardanelles, et en quarante-huit heures les abords de Stamboul et de Galata se hérissèrent, comme par enchantement, de douze cents pièces de canon, tandis que les châteaux des Dardanelles mettaient en ordre leurs batteries. L’escadre anglaise se vit bientôt cernée de tous côtes, les assiégés