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étaient devenus agresseurs. Il ne restait plus à l’amiral qu’à lever l’ancre, et c’est ce qu’il fit. Cette fois, les batteries des Dardanelles l’attendaient au passage ; elles firent feu de toutes pièces sur l’escadre ; deux corvettes furent coulées devant Gallipoli ; le vaisseau amiral, le Royal-George, perdit son grand mât ; un boulet de marbre, du poids de 800 livres, enleva soixante hommes dans l’entrepont du Standard ; le vice-amiral Duckworth et le contre-amiral Louis furent blessés grièvement, et les navires désemparés gagnèrent Malte à grand’peine. Il faut ajouter ici que les batteries des Dardanelles durent en partie à l’habileté de huit officiers français d’avoir été, en cette occasion, si meurtrières. Notre histoire contemporaine enregistra ce jour-là de nouveaux noms qui depuis se retrouvèrent souvent dans nos annales militaires et parlementaires. MM. Foy, Baxo, de Tracy, commandaient l’un des châteaux des Dardanelles. Si ces faits ne parlaient pas assez haut d’eux-mêmes, il suffirait, pour bien comprendre quelle était à cette époque la position de la France en Orient, de lire les instructions données au contre-amiral Louis par l’ambassadeur d’Angleterre. « Il est impossible d’imaginer, écrivait M. Arbuthnot, que l’ambassadeur français et un ambassadeur anglais puissent dorénavant résider en même temps dans dette capitale[1]. » Hélas ! que les temps sont changé, et combien sont indiscrets aujourd’hui ces souvenirs consignés au Moniteur !

Les réminiscences historiques ne m’empêchaient pas de songer aux six odalisques qui faisaient partie de la suite du jeûne Arabe. Dès leur arrivée à bord, j’avais calculé que jamais occasion plus belle ne me serait donnée de pénétrer les secrets d’un harem et de m’assurer de la beauté tant vantée des filles mystérieuses de l’Asie. Quand le Rhamsès eut repris sa marche, je commençai à surveiller l’argus noir à la garde duquel les houris étaient confiées. Pendant plus d’une heure, je rôdai inutilement autour du panneau de l’avant. Fidèle à sa consigne, l’esclave était couché à la porte de ses jeunes maîtresses, et je perdais patience, lorsque je le vis se lever et monter rapidement l’escalier. Il avait à peine disparu que je m’étais glissé dans le panneau, et, l’œil appliqué à la serrure de la porte verrouillée je plongeai dans la chambre un regard indiscret. En face de moi, deux femmes étaient assises par terre, les jambes croisées. L’une d’elles avait relevé son voile, déjà j’entrevoyais un visage pâle, deux grands yeux noirs, quand tout à coup derrière moi un bruit de pas précipités

  1. Moniteur du 15 avril 1807.