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réparée par Justinien, mutilée par l’islamisme, offre à l’extérieur une agglomération confuse de bâtimens informes, d’une architecture lourde, écrasée, à laquelle tant de modifications successives ont, à mon sens, enlevé tout caractère. A l’intérieur, la basilique est sans majesté ; elle paraît petite, malgré ses colossales dimensions. La galerie supérieure est portée par des colonnes de porphyre d’ordres différens, enlevées la plupart aux temples d’Éphèse, et surmontées de chapiteaux mal assortis. Sous le badigeon sale et dégradé des murs apparaissent çà et là comme des taches les anciennes mosaïques d’or. Une particularité de l’arrangement intérieur frappe désagréablement le regard. La nef s’étend à peu près du nord au sud, et les musulmans, obligés de se tourner vers le Levant pendant leurs prières, ont disposé selon leur convenance, et sans s’inquiéter des lois architecturales, les nattes de paille qui couvrent le pavé de marbre. Ces nattes, divisées par bandes, sont étendues obliquement dans toute la largeur de la nef. Les raies noires qui les séparent étonnent l’œil, et donnent à l’édifice un aspect contourné et irrégulier. La plupart des colonnes ont perdu leur aplomb, les unes penchent à gauche, les autres à droite, et leur inclinaison suffit pour détruire toute symétrie, sans être assez considérable pour donner à la mosquée le caractère imposant d’une ruine. A quelques pieds au-dessus des têtes sont suspendus, à des fils de fer, des milliers de verres pleins d’huile, au fond de la nef se dressent deux cierges d’un énorme diamètre et d’un poids de deux mille cents livres : tels sont, avec quelques fontaines, les seuls ornemens de Sainte-Sophie. Le plus grand silence règne d’ordinaire dans la mosquée ; de loin en loin, quelques pieux musulmans sont agenouillés, d’autres font paisiblement leur sieste, étendus sur les nattes ; quelquefois, au pied d’une colonne, un vieillard assis sur ses talons, au milieu d’un cercle d’enfans accroupis, psalmodie d’une voix nasillarde, en se balançant, des versets du livre de Mahomet. Les temples de la religion, en Turquie, servent à la fois d’école et d’asile pour les pauvres. Dans les dépendances des mosquées sont établies des cuisines que la charité publique approvisionne pour les indigens. Les Turcs qui partent pour un long voyage déposent souvent leur trésor dans les églises. Dans la Suleimanhé (mosquée de Soliman], on voit une quantité de coffres de cuir empilés contre un mur. Ces malles renferment la fortune d’un grand nombre d’orphelins. A la mort de leurs parens, ces coffres ont été portés à la mosquée pour y rester sous la garde de la religion. Jamais vol n’a été commis dans les lieux saints au préjudice de ces enfans sans protecteurs, qui, à leur