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jouait le rôle de puissance désintéressée et pacificatrice. Tous les états européens, sauf la France, partageant leurs forces en trois grandes masses, formaient une sorte de congrès ; les conditions qui nous étaient imposées devaient être celles des traités de Lunéville et d’Amiens, mais avec un commentaire nouveau donné par ce congrès. Si la France refusait ces conditions, on lui ferait la guerre ; si cette guerre, n’était qu’à moitié, heureuse pour l’Europe coalisée, on devait se contenter d’enlever à la France ses possessions en Italie et la Belgique ; si la guerre réussissait tout-à-fait, l’Europe retrancherait de l’empire français les provinces rhénanes, elle appellerait, elle établirait sur les bords du Rhin la Prusse, à laquelle elle créerait ainsi un éternel antagonisme contre la France. Ce plan, avec des détails et des amendemens qu’il faut aller chercher dans notre historien, fut soumis à Pitt. On peut juger de sa joie à une pareille ouverture. M. Thiers a peint avec beaucoup de finesse la déférence affectée de Pitt pour les jeunes diplomates, MM. de Strogonoff et de Nowosiltzoff, que lui envoyait l’empereur Alexandre. Pitt consentit presque à être gourmandé, il se laissa reprocher l’ambition de l’Angleterre ; le plus positif des hommes d’état eut l’air d’admirer des idées chimériques. N’est-ce pas là le haut comique de l’histoire ?

Tout cependant n’était pas chimérique dans les projets de l’abbé Piatoli, car, dix ans plus tard, quand la fortune nous eut abandonnés, plusieurs données de ce plan servirent de base aux traités de 1815. Au surplus, à cette époque funeste, il y eut de la part d’un cabinet plus de malveillance pour la France que du côté de la Russie et d l’Angleterre. Dans une compilation de pièces historiques et littéraires publiée à Berlin il y a quelques années[1], nous trouvons qu’en 1815 un docteur Wilhelm Butte fit imprimer un écrit sous ce titre : Conditions nécessaires d’une paix avec la France. Cri de l’opinion publique. Ces conditions étaient, entre autres, d’ôter à la France l’Alsace, la Lorraine, Metz, Toul et Verdun, de donner au royaume des Pays-Bas Lille et Valenciennes, de détruire tous les monumens, de changer toutes les dénominations qui attestaient les victoires des Français, d’occuper la France pendant un temps illimité. Le docteur envoya son livre au prince de Hardenberg, qui dit au conseiller Stageman : « C’est presque littéralement les conditions de la paix avec la France que j’avais exposées dans la commission, et cependant je n’en ai rien

  1. Denkschriften ud Briefe zur Characteristik der Welt und Literatur, t. VI, Berlin, 1841.