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Voilà un fou. Comme tous les pays lui sont insupportables, il demande à changer continuellement de résidence, sans jamais s’en trouver mieux. Le mal n’était pas, en effet, dans tel ou tel pays ; il était dans le sens dépravé de ce malheureux, qui trouvait partout le goût du poison. M… s’était figuré plusieurs fois M. D…, son chef, comme l’auteur des attentats qui le suivaient de ville en ville. Il résiste durant deux années ; enfin, vaincu par les traitemens intolérables de son persécuteur, il se détermine à se faire justice. Il n’y a point ici de force interne de destruction en mouvement ; il y a une erreur des sens qui entraîne la volonté.

M. Foville n’eut pas de peine à recueillir un grand nombre de faits analogues. Dès-lors il fallut reconnaître l’importance des hallucinations et l’influence qu’elles exercent sur les déterminations du délire. Le phénomène, mieux compris, fut aussi mieux étudié. A côté des travaux du médecin en chef de Charenton, nous devons citer les ouvrages sur les maladies mentales de MM. Falret, Voisin et Lélut, où l’on trouve des faits intéressans d’hallucination liés aux différens genres de folie. Une nouvelle direction morale s’est dernièrement révélée sur le terrain de la médecine des aliénés ; à la tête de cette direction éminemment spiritualiste se place un homme remarquable, M. Leuret. Cet habile psychologue a traité de l’hallucination dans ses ouvrages sur la folie ; mais jusqu’au dernier livre de M. Brierre de Boismont, on n’avait pas isolé ce phénomène des autres symptômes du délire. C’est une tentative qui mérite d’être discutée. M. Brierre de Boismont est un partisan déclaré de la doctrine qui, en médecine comme en philosophie, nous parait devoir porter le nom de spiritualisme. En étudiant les causes, les formes et le rôle historique de l’hallucination, nous rencontrerons sur notre route les travaux de ces divers médecins. M. Leuret nous représentera dans cet examen le côté raisonnable et modéré des doctrines spiritualistes ; M. Brierre nous en montrera quelquefois les exagérations et les écarts.


I. – DES PRELUDES ET DES CAUSES DE L'HALLUCINATION

Les médecins physiologistes n’avaient point assez cherché, à notre avis, les racines de la folie dans l’état normal de l’homme. Pour nous en tenir ici à l’hallucination, il n’est pas douteux que l’analogue de ce phénomène existe dans l’état de raison, qu’il se manifeste journellement et qu’il forme même un des charmes de notre nature. Tout le