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et lui impose en quelque sorte son influence ; il est d’autres cas où sa marche est subordonnée à la maladie dont il est un des mille accidens.

En visitant les établissemens d’aliénés, nous avons rencontré nous-même trois cas où l’hallucination existait comme élément primitif du délire. Le premier était une fille de vingt-huit ans, qu’on montrait comme un exemple de substitution de sexe. Elle se croyait homme. En l’interrogeant avec patience et en nous dirigeant, d’après ses réponses, à travers les détours de ce sombre labyrinthe du délire où les médecins ne suivent pas toujours assez loin les traces de leur malade, nous remontâmes jusqu’à la cause d’une telle erreur. Cette fille, qui était jolie, avait toujours mené une vie irréprochable, lorsqu’à vingt-deux ans, elle tomba entre les mains de jeunes débauchés qui abusèrent de sa faiblesse. La malheureuse essaya de se défendre ; puis, voyant toute résistance impossible, et sentant tomber ses vêtemens sous l’étreinte de ses ravisseurs, elle eut recours à un artifice qui sauva sa pudeur, mais qui lui coûta la raison. Pour couvrir l’opprobre de sa nudité, elle s’imagina être changée en homme. Depuis ce moment, elle parle et raisonne comme si elle n’avait jamais été femme. Nous ne pûmes nous défendre d’une véritable compassion pour cette pauvre folle si intéressante, qui n’avait changé de sexe que pour conserver l’honneur du sien.

Dans un autre établissement particulier, nous vîmes un homme de trente-deux ans qu’on définissait ainsi : aliénation mentale entée sur une imbécillité. Cette étiquette, apposée en quelque sorte au malade, nous étonna. Nous fîmes des recherches nous interrogeâmes sa famille ; nous le pressâmes lui-même de questions, et nous découvrîmes que ce jeune homme était devenu imbécile à la suite d’une hallucination de l’ouïe. Né d’une famille riche, il avait fait des études ; il suivait à Paris ses cours de droit, et avait déjà passé deux examens, quand un jour il entendit des voix qui lui ordonnaient de devenir bête. Dès-lors ce fut une lutte terrible entre son intelligence et cette force occulte qui voulait l’anéantir. Allait-il parler, les voix lui disaient de se taire ; étudier, les voix lui disaient de fermer son livre ; méditer, écrire, les voix lui disaient de s’aller promener. Elles le poussaient sans cesse à tout ce qui pouvait l’abrutir. Enfin, il suivit si bien leurs conseils, que notre pauvre jeune homme devint à la lettre ce que les voix voulaient qu’il fût. Les parens, étonnés de la subite décadence des facultés mentales de leur fils, attribuèrent d’abord ce résultat au désordre de ses mœurs. On se trompait. Ce désordre n’était qu’une