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de l’inquisition comparable à une salle d’aliénés, car, il faut bien le redire, tous ces maux imaginaires sont réels pour ceux qui les ont créés. Les erreurs des sens ne revêtent pas toujours, heureusement, des formes si inhumaines. Il est impossible de ne point admirer la main de la nature jetant le voile des illusions sur l’esprit de certains malades pour leur dérober la triste connaissance de leur état. Demandez à ces fous paralytiques, infirmes, gâteux, qui tombent en lambeaux, comment ils se trouvent, vous verrez se former sur leur figure effacée un dernier sourire : — Bien monsieur, vous répondront-ils avec une bouche de travers, très bien ! — Ces malheureux, dont l’existence est moins que le néant, nagent souvent dans toutes sortes de visions délicieuses.

L’hallucination est souvent le reflet de la vie publique d’un individu, de ses opinions et de ses souvenirs politiques. Nous connaissons un ancien officier de la cour de Charles X chez lequel les erreurs des sens, qui sont nombreuses, paraissent tenir à un arrêt de la mémoire et des autres facultés. Interrogez cet homme surtout ce qui a précédé 1830, il vous répondra très sensément ; si vous faites un pas de plus, il déraisonnera. Cet halluciné s’habille tous les jours pour le service de son roi, il le voit à la messe, il parle de Madame et de la duchesse de Berri, auxquelles il trouve toujours le même visage qu’il y a quinze années. Les hallucinations, de cet officier consistent toutes en une erreur de temps, car ce qu’il croit faire maintenant, il le faisait ; ce qu’il croit voir, il le voyait. La folie de cet homme, qui est lui-même une horloge arrêtée, n’est guère qu’un anachronisme.

Les époques revivent par leurs signes, et ce sont ces signes qui deviennent plus tard les élémens de nos fausses sensations. Un jeune homme se figure avoir l’image d’un aigle gravée sur le dos. Cette forme d’hallucination tenait sans aucun doute aux réminiscences de l’empire. Notre visionnaire confie son erreur à sa mère ; celle-ci cherche d’abord à la combattre. Le fils insiste ; il parle avec l’entraînement de la conviction, et, pour dernier argument, montre à sa mère la place où l’aigle a dû marquer son empreinte. « Eh bien ! lui dit-il, vois. » La malheureuse regarde et s’écrie : « Tu as raison ! » Elle avait vu l’aigle. M. Foville nous a montré ces deux malades à la maison royale de Charenton. On devine par là que la nature et la forme des hallucinations se communiquent.

Un point de vue intéressant que M. Brierre de Boismont a négligé dans son livre et que nous ne pouvons qu’indiquer ici, c’est l’influence exercée par certaines associations secrètes ou religieuses sur leurs