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adeptes. Parmi les gnostiques, les rose-croix, les francs-maçons, les alchimistes, on comptait beaucoup d’hallucinés. Il y aurait ici matière à de très curieuses études qui révéleraient le rôle volontaire que l’imagination exerce dans les erreurs des sens. M. Brierre est d’ailleurs sur la trace de cette idée quand il rapporte dans son ouvrage aux formes de l’hallucination tous ces faits extraordinaires qui composent, pour ainsi dire, le côté fantastique et comme la magie de la science : nous voulons parler surtout des apparitions. Les ombres, les spectres, les revenans, tiennent à une loi très simple de la nature. Un homme a promis à son ami de revenir, après sa mort, pour l’informer de ce qui se passe dans l’autre monde. Un autre a juré, en expirant, de tourmenter sur la terre son ennemi. Ces menaces ou ces promesses deviennent inséparables du souvenir de la personne morte. C’est un germe déposé dans la mémoire ; ce germe mûrit et finit par éclater un jour en une hallucination. M. Brierre serait tenté de voir dans certains cas, sur de semblables faits, la trace du doigt de Dieu. Il faut vraiment écarter de la science cette manière de voir, qui nous ramènerait à toutes les croyances puériles du moyen-âge. Concevons de la Divinité une idée plus grande, et ne la faisons pas intervenir dans les fantômes de notre raison malade.

Est-il raisonnable de ranger sous la même loi surnaturelle les visions soudaines qui ont quelquefois attribué à la conversion des saints ? Nous ne saurions encore y voir qu’un phénomène naturel. Il y a des images qui creusent silencieusement leur empreinte dans le cerveau ; elles paraissent dormir, quand un jour elles se renouvellent tout à coup et se montrent aux yeux de l’ame, qui les prend pour une illumination d’en haut. Nous croyons que M. Brierre n’aurait eu qu’à consulter ses propres connaissances pour faire justice de toute autre explication. Ne remarque-t-il pas lui-même qu’il existe un état physiologique, connu de tous les voyageurs, durant lequel on semble voir avec les sentimens plutôt qu’avec les yeux ? L’homme se trace alors des lieux une image tellement rapide et tellement nette, que les sens paraissent comme doublés. Un autre effet non moins surprenant est celui qui se produit dans les songes. Il se fait quelquefois, pour ainsi dire, des éclaircies de mémoire. L’ame, comme éveillée par le sommeil des sens, jette dans le cerveau une vive lumière sur des groupes (10 souvenirs depuis long-temps effacés, qui se colorent subitement. Il y a un équivalent de ce phénomène dans les réminiscences des aliénés. M. Leuret nous a raconté qu’une fille du peuple prononça dans son délire un grand nombre de mots latins. Elle avait été