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leur souriait sous le soleil. Ceux qui souffraient portaient plus doucement leurs souffrances, les heureux sentaient plus vivement leur bonheur ; car la nature, cette mère sainte, fixe sur ses enfans un long regard qui les calme ; elle apaise les passions, et prête à leurs sentimens un ton plus exquis et plus tendre dans la douleur et dans la joie. Et cependant, au sein de ses plus doux sourires, il y a un peu de tristesse ; tout ce qu’elle produit à la vie doit se flétrir et tomber ; elle le sait, et le dit à tous : aussi son influence est-elle mélancolique dans sa gaieté. » Ce sont là des traits ravissans et profonds, assez fréquens dans le poème, mais qui se noient malheureusement dans les torrens du dithyrambe révolutionnaire auquel l’auteur a voué son épopée.

Enervé par la diffusion, et abusant d’une forme trop libre et trop facile, l’auteur d’Ernest a du moins le mérite de la cohérence et de la lucidité, mérite qui manque tout-à-fait au plus puissant de ces poètes ouvriers, Ebenezer Elliott, élevé au milieu des forgerons de Sheffield, et qui lui-même a manié le marteau et la lime. On aurait tort de le croire original. Ses poésies sont l’exagération de Crabbe, de Wordsworth et de Cowper. Une énergie qui aurait plus de valeur si elle était plus contenue, une flamme mêlée de tourbillons de fumée comme celle qui plane au-dessus des fournaises de Birmingham, un manque total de calme, de repos, de dignité, d’enchaînement dans les idées, de précision et de simplicité dans le style, l’empêcheront de se placer jamais, quelques éloges qu’il ait reçus du philosophe Carlyle, sur la ligne non-seulement de Burns le laboureur, mais sur celle du cordonnier Bloomfield, si inférieur à Burns. Il jette sa poésie par bouffées ardentes, à peu près comme Savage, le contemporain de Johnson, et l’incohérence de ses œuvres, étant mêlée d’un cri perpétuel de fureur, de douteur et de faim, produit une sensation épouvantable, que l’admiration pour des éclairs de talent corrige à peine. De temps à. autre, il oublie sa mission politique, cesse de parler contre la taxe, la cherté du pain et les propriétaires, s’enfonce dans l’ombre de la forêt, gravit ses montagnes, et retrouve alors des accens qui pénètrent, nés surtout de la profondeur du sentiment religieux et de l’aspect de la nature. Quelquefois encore il prévoit les reproches qui lui seront faits et s’excuse, ou accuse ses ennemis avec une verve magnifique.

« Le pauvre se plaint, dit-il, et qui l’écoutera ? Qui voudra entendre un récit de misères véritables ? Malheur à la muse de la souffrance et du besoin ! Personne ne voudra l’accueillir. Ces pauvres si dédaignés, n’écrivez par leur