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Russell est plus loin, et la distance reste à peu près la même. Voilà ce que ne voient pas ceux qui, comme sir Robert Inglis et le duc de Buckingham, s’enorgueillissent de n’avoir pas bougé.

Je le répète, si, au point de vue moral et conformément à la saine pratique du gouvernement représentatif, la conduite de sir Robert Peel n’est point irréprochable, elle peut trouver, soit dans ses propres précédens, soit dans la gravité des circonstances, des excuses nombreuses et sérieuses. C’est l’avis d’un homme considérable, qui naturellement a peu de sympathie pour sir Robert Peel, de lord Melbourne, chef du dernier cabinet. Reparaissant dans la vie publique après une longue et douloureuse maladie, lord Melbourne, le 1er août 1845, s’exprimait en ces termes : « Placé comme je l’ai été par les circonstances dans la situation d’un antagoniste, d’un compétiteur de l’honorable baronnet ; il est naturel que j’examine sa conduite, non dans les sentimens d’une jalousie hostile, mais avec soin et sévérité. Il est naturel que je me demande quelles ont été ses mesures, quels ont été les principes sur lesquels il les a fondées, quel a été le langage qu’il a tenu pour les faire prévaloir. C’est un examen que j’ai fait scrupuleusement, et je me crois obligé de déclarer que, selon moi, rien dans les antécédens de l’honorable baronnet ne pouvait l’empêcher, au point de vue de la conséquence, de présenter les mesures qu’il a présentées, ou toutes autres dans le même sens qu’il jugerait opportunes et utiles à son pays. » Un tel jugement de la part d’un tel homme st quelque chose de grave, et sir Robert Peel peut à bon droit s’en couvrir.

Si de ces considérations un peu secondaires on s’élève à des considérations plus hautes, qui d’ailleurs peut nier que la politique et les derniers actes de sir Robert Peel ne soient de ceux qui honorent un ministre ? Il est, je le sais, des pays où l’on croit que l’esprit conservateur consiste à fomenter les préjugés, à assouvir les passions égoïstes, à protéger les abus, à repousser les réformes. Aux yeux de si Robert Peel, l’esprit conservateur est celui qui, pour conserver la grandeur et la puissance nationales, n’hésite pas à imposer aux préjugés, aux passions, aux intérêts privés, des sacrifices nécessaires, celui qui ne juge pas que l’immobilité soit sagesse, et que tout aille nécessairement bien quand l’ordre et la paix sont sauvés. Sans s’inquiéter de vaines clameurs, sir Robert Peel rompt donc résolument avec l’esprit le routine, et entraîne après lui tout ce qui, dans le parti dont il est le chef, n quelque liberté d’esprit et quelque prévoyance. C’est, il faut le reconnaître, un service considérable qu’il rend