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en fallait, et elle s’est laissé aimer comme une autre, comme sa cousine Astarté, comme Aspasie et Manon Lescaut.

LA MARQUISE

Monsieur, voilà de la mythologie.

LE COMTE, tenant toujours le coussin.

Non, madame ; mais je ne puis dire combien cette indifférence à la mode, cette froideur qui raille et dédaigne, cet air d’expérience qui réduit tout à rien, me font peine à voir à une jeune femme. Vous n’êtes pas la première chez qui je les rencontre ; c’est une maladie qui court les salons ; on se détourne, on bâille, comme vous en ce moment, on dit qu’on ne veut pas entendre parler d’amour. Alors pourquoi mettez-vous de la dentelle ? Qu’est-ce que ce pompon-là fait sur votre tête ?

LA MARQUISE

Et qu’est-ce que ce coussin fait dans votre main ? Je vous l’ai demandé pour le mettre sous mes pieds.

LE COMTE

Eh bien ! l’y voilà, et moi aussi ; et je vous ferai une déclaration, bon gré, mal gré, vieille comme les rues et bête comme une oie ; car je suis furieux contre vous.

(Il pose le coussin à terre devant la marquise, et se met à genoux dessus.)
LA MARQUISE

Voulez-vous me faire la grace de vous ôter de là, s’il vous plaît ?

LE COMTE

Non ; il faut d’abord que vous m’écoutiez.

LA MARQUISE

Vous ne voulez pas vous lever ?

LE COMTE

Non, non, et non, comme vous disiez tout à l’heure, à moins que vous ne consentiez à m’entendre.

LA MARQUISE

J’ai bien l’honneur de vous saluer. (Elle se lève et ouvre la porte.)

LE COMTE, toujours à genoux.

Marquise, au nom du ciel ! cela est trop cruel. Vous me rendrez fou, vous me désespérez.

LA MARQUISE

Cela vous passera au Café de Paris.