Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/526

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour ce qui était grand, noble et beau. De nombreux amis lui ont rendu les derniers devoirs en se pressant autour de ses frères, qui, déjà serviteurs distingués du pays, tant dans la carrière politique que dans la carrière militaire, s’étonnaient douloureusement que le plus jeune d’entre eux les eût devancés auprès de leur glorieux père.



Un calme apparent a succédé, en Suisse, aux dernières agitations. Si l’on excepte les élections partielles de Berne, faites dans un sens radical, contrairement à l’attente générale, aucun fait important ne s’est produit dans les cantons. La lutte est provisoirement suspendue ; mais, tandis que les partis se comptent et s’observent, le peuple exprime en de naïves poésies ses craintes et ses espérances. Il nous a semblé curieux de faire connaître un de ces chants populaires, composé récemment dans le dialecte de la Suisse française, et dédié à l’avoyer Neuhaus, dont le nom a si souvent retenti dans la presse.

LES HÉROS HELVÉTIQUES.
A M. l’avoyer Neuhaux[1]
Oh ! les temps héroïques,
Où sont-ils ? où sont-ils ?
Hommes des jours antiques,
N’avez-vous plus de fils ?
D’Erlach[2], dans la campagne
Où donc est le cimier ?
De Tell, sur la montagne,
Où, le carreau d’acier ?
D’Arnold[3], sur le rivage,
Où, le bras saint et fort,
Faisant un grand passage
De victoire et de mort ?
Où, Léman, sur ta grève,
La voix de Berthelier[4],
S’écriant : « Pour Genève
Je mourrai le premier ? »
  1. La Suisse a un grand nombre de dialectes allemands et romans dans lesquels sont écrites des poésies trop peu connues. En traduisant celle-ci, nous avons tâché de conserver l’allure vive, les coupes et les tours un peu brusques, mais hardis, de l’original.
  2. D’Erlach, général des Bernois à la bataille de Laupen, le Waterloo de la féodalité dans la Suisse occidentale (1339). C’est in de ses descendans qui, lieutenant de Bernard de Saxe-Weimar, conserva, après sa mort, son armée et l’Alsace à la France.
  3. Arnold (de Wizkelried) : à la bataille de Sempach, il se dévoua pour ouvrir à ses compatriotes la forêt de lances des chevaliers autrichiens (1386).
  4. Berthelier, qui, avant la réformation, proclama la liberté de Genève, et fut mis à mort par l’ordre du duc de Savoie. Il disait à Bonnivard : « Genève sera libre, mais j’y perdrai la tête, et vous votre abbaye » prédictions qui se vérifièrent toutes les deux, observe ce dernier dans sa chronique.