Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/535

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à Paris, c’est-à-dire au centre de toutes les théories nouvelles de l’époque, son Moïse et son Guillaume Tell, il donnait lui-même l’impulsion à ce mouvement réactionnaire, qui depuis s’est emparé de l’Italie. Mercadante et Verdi, les plus illustres coryphées de l’école moderne en honneur au-delà des Alpes, Mercadante et Verdi sortent de Guillaume Tell et de Moïse, tout comme certains compositeurs, hier encore à la mode, Donizetti par exemple, sortaient de la première manière du maître, du style rossinien proprement dit. Dans la lignée des musiciens qui se sont succédé depuis quinze ans, Bellini seul fait exception, et ne relève en quelque sorte que de sa propre mélancolie et d’un vague pressentiment de la poésie du Nord, que sa nature sicilienne et mélodieuse a traduit en douces complaintes d’une tendresse et d’une langueur ineffabes. Bellini est un élégiaque monotone, a-t-on dit, Bellini n’a qu’une corde à sa lyre, j’en conviens. Telle est cependant la substance et la fécondité de tout ce qui nous vient de Dieu, que cette corde si fragile, si bornée en ses modulations, a suffi, non-seulement à la gloire du chantre des Puritains, mais encore à toute une génération de musiciens de talent qui s’en est inspirée. Il y a tels indices certains auxquels on reconnaît les sources vives.

Ces indices, l’auteur de Nabucodonosor peut-il à juste titre s’en prévaloir ? Franchement, nous le pensons. Non qu’il y ait lieu, pour le moment, de s’extasier outre mesure, et qu’on doive s’enrouer à crier au miracle. Un siècle qui a vu Beethoven, Weber et Rossini, a, Dieu merci, quelque titre de se montrer plus circonspect en matière de révélations musicales. Tel qu’il est cependant, et à ne le juger que sur les trois partitions que nous connaissons de lui, Nabucodonosor, Ernani et les Deux Foscari, Verdi se place au premier rang des compositeurs de la période nouvelle, et les motifs sur lesquels se fonde sa renommée, si populaire en Italie, renommée qui vient encore de s’accroître par l’éminent succès de Nabucodonosor à Paris, ces motifs, disons-nous, n’ont rien à redouter d’une discussion calme et sévère. Il vous suffit d’entendre vingt mesures de cette musique pour qu’à l’instant même vous sachiez à qui vous avez affaire. Il ne s’agit plus en effet ici d’un de ces imitateurs à la suite, de ces copistes routiniers qui se bornent à varier pour la centième fois la formule ayant cours, septième plaie d’Égypte dont l’Italie est infestée, véritables sauterelles qui s’en vont ravager la moisson du génie ; il s’agit encore moins d’un de ces sectaires maniaques dont tout le savoir-faire et toute l’originalité consistent à prendre le mauvais côté d’un grand homme, à venir, par exemple, imiter les nuages et l’obscurité du style de Beethoven, quitte à nous donner ensuite leur importun grimoire pour de sublimes inventions. Sans abonder dans l’humeur famélique des uns ou dans l’effronté charlatanisme des autres, l’auteur de Nabucodonosor et d’Ernani compose son bien de divers élémens, tantôt mettant son propre fonds en œuvre, tantôt usant des conquêtes d’autrui, qu’il s’assimile du reste avec un art dont l’Italie, avant lui, offrait peu d’exemples. Esprit informé, novateur