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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/536

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modéré, sa pensée respire très souvent l’élévation ; son style a de la consistance et certaines qualités de bon aloi que, chez un écrivain, nous appellerions littéraires ; en un mot, Verdi est un maître. — On a dit de Robert que c’était là un diable à trois faces, dont l’une clignait de l’œil à l’Allemagne, tandis que l’autre coquettait avec l’Italie, et que la troisième lançait toute sorte d’agaceries à la France. Ce mot, qui fait assez ingénieusement le procès au style composite en musique, pourrait se répéter au sujet de l’opéra de Nabucodonosor. Évidemment, il y a là une tentative de combinaisons en dehors des usages du pays qui a vu naître Cimarosa et Bellini. Cependant telle est la force de la nature, chez ces hommes du Midi, que l’instinct finit toujours, en eux, par avoir raison du système. Ainsi, en dépit du parti pris de son auteur, en dépit de son intention manifeste d’opérer une fusion harmonieuse entre les divers styles, Nabucodonosor est et demeure un opéra italien, ni plus ni moins, et, si je veux absolument découvrir le principe de son existence, je le trouverai dans la Semiramide et le Moïse de Rossini bien plus que dans toutes les partitions des écoles allemande et française que Verdi aura pu méditer. Ce que nous avançons là n’est, en somme, que l’éloge du maestro. En effet, il n’y a que les natures complètement dépourvues d’originalité qui, même en faisant œuvre d’éclectisme, puissent perdre complètement leur caractère national. Comme Meyerbeer, dans Robert le Diable, n’a point cessé d’être Allemand, Verdi, dans Nabucodonosor, est resté Italien. Es-ce à dire que Robert le Diable et Nabucodonosor doivent passer pour des ouvrages d’une physionomie bien arrêtée ? Pas le moins du monde. Seulement, il faut bien reconnaître que les nationalités ont leur caractère distinct, leur style, leurs nuances propres ; et, comme il est impossible que le Midi et le Nord chantent exactement la même gamme, on surprendra toujours chez l’Italien qui se germanise la note mélodique obstinée, le rhythme et la cadence revenant à flots après chaque bourrasque instrumentale, tout comme, chez le maître allemand en train de se donner des airs à l’italienne, il sera facile de voir tôt ou tard l’élément dramatique, instrumental, choral, se substituer à toutes les graces, à toutes les élégances du chant. A tout prendre, on serait peut-être fort embarrassé de citer un opéra de quelque valeur où cette fusion des trois élémens soit maintenue avec un certain équilibre. J’ai beau y réfléchir, je n’en trouve qu’un seul, la Juive, de M. Halévy. C’est là en effet le véritable chef-d’œuvre du genre neutre. Avec un mérite incontestable d’instrumentation et de contexture, on ne peut soutenir que ce soit là une musique allemande, italienne ou française, ou plutôt cette musique est à la fois italienne, allemande, française, tout ce qu’on voudra. A force de propriétés négatives l’auteur de la Juive semblait mieux que personne appelé à réaliser ce rêve d’un éclectisme impartial. Et d’abord M. Halévy est Français ; or, si l’on excepte l’opéra-comique proprement dit, le style français, en musique, n’existe pas. Ensuite, ce musicien n’appartient pas le moins du monde, que nous sachions, à la classe des hommes d’imagination,