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couronné qui veut absolument que son trône soit un autel, et cet irascible grand-prêtre qui prend au sérieux l’incartade. Allons, poète, laissez se détendre les cordes de votre lyre ; entre la cauda véhémente du finale de l’anathème et la strette orageuse du dénouement, un peu de calme, un peu de rêverie !

Va, pensiero, sull’ali dorate
Va, ti posa sui clivi, sui colli,
Ove olezzanno libere e molli
L’aure dolci del suolo natal !


Allons, rêvons un peu, non plus cette fois au clair de lune, non plus au bord du lac argenté comme le doux et tendre Bellini, mais sur les rives de l’Euphrate, selon qu’il convient au vol de vos pensées : super flumina Babylonis. Le disque du couchant empourpre l’horizon, et, tandis que les Hébreux enchaînés pleurent Jérusalem absente, le colosse de Bélus tache de son ombre immobile le sable rougissant du désert. Impossible de rendre avec plus d’ame, de vraie grandeur, le pathétique d’une pareille scène ; Rossini lui-même n’a rien conçu, rien écrit de mieux dans son œuvre biblique. Je ne sais, mais il me semble surprendre là, en même temps qu’un écho généreux du Mose, le chaud reflet du soleil de Victor Hugo. A la bonne heure, voilà comme j’aime qu’on me peigne l’Orient en musique, ceci soit dit sans atteinte aux agréables silhouettes de M. Félicien David.

Passé ce chœur, l’ouvrage, du reste, n’a plus à vous donner que des sensations ordinaires. Au quatrième acte, la romance où Nabucco prosterné demande grace : Dio degli Ebrei, perdono ! ainsi que sa grande scène à la Guillaume Tell : O prodi miei seguitemi, sont deux morceaux dont Ronconi seul fait la fortune, ici par le pathétique et l’onction sacrée de sa voix, là par sa verve bouillante et son entraînement. On le croira difficilement, ce rôle de Nabucco, sur lequel repose à peu près tout l’intérêt musical de l’ouvrage, n’offre au chanteur que d’assez rares occasions de se produire dans tous ses avantages. Cette démence infiniment trop prolongée du monarque assyrien donne au personnage un caractère de monotonie que Ronconi lui-même ne réussit pas toujours à conjurer, et les deux grandes péripéties du drame sont traitées de manière à ne produire que peu d’effet. Nabucco perd la raison on ne sait trop comment, et la recouvre on ne sait pourquoi. À ce bestial persécuteur du peuple de Dieu, il a suffi de soupirer une romance pour rentrer à l’instant dans tous ses droits d’homme et de souverain. C’est conquérir la grace à bon marché, et cette fois, on l’avouera, les traditions bibliques eussent exigé davantage. Vainement vous chercheriez ici de ces occasions dramatiques où le tragédien se révèle, de ces mots dont s’empare : le hasard de l’inspiration, et comme on en trouve en si grand nombre dans la plupart des opéras modernes, dans la Maria di Rohan et la Lucia, par exemple. Je reprocherai en outre à la musique de Verdi de pencher beaucoup