Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/637

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ses draperies, par les belles broderies de son style et la majesté éclatante de ses fleurs, n’étant jamais familier, même dans ses lettres intimes, il rappelle un peu trop la lourde manière de M. Thomas et de M. Necker. La sympathie n’ose pas naître, une existence si gravement respectueuse envers elle-même vous glace. On lui voudrait plus de naïveté, de caprice, de simplicité, de naturel, sauf à perdre un peu de l’éloquence, du sérieux et de la vertu qui jamais ne le quittent.

Sous ces derniers rapports, il a peu d’égaux ; la lecture de ses lettres, découvrant le fond de sa vie privée, augmente la vénération et l’estime pour cet homme rare. Sans fortune et sans nom, d’une probité rigide et scrupuleuse, d’une sévérité de mœurs qui rend le succès plus difficile, amoureux de l’étude qui condamne à la retraite, nul n’a pesé d’un plus grand poids dans l’estime publique. Pitt, long-temps maître de l’état, Fox, chef de l’opposition, n’ont point éclipsé le philosophe. Sa voix a été une autorité, son opinion une puissance ; seul il a constitué son propre parti. Les diverses armées se sont plutôt approprié les vues de Burke qu’il ne s’est livré à elles. En avouant ses erreurs politiques, nées d’un double excès de grandeur morale et de fécondité intellectuelle, nous ne le jugerons pas comme un chef de parti ; il s’est isolé, héros religieux et grand-prêtre d’une moralité politique souvent inapplicable aux intérêts du monde.

Edmond Burke, Français-Normand d’origine, Irlandais de naissance, catholique par ses alliances et ses parentés, était surtout quaker par l’éducation, les penchans et les amitiés de sa jeunesse. Le nom véritable et antique de la famille était Bourg, transformé en Bourke, Burke et Burg, dans diverses branches. Un petit héritage de 300 livres sterling constituait tout son patrimoine. Attorney de la ville de Cork, son père avait exercé, avec assez de succès pour élever ses trois fils, cette profession qui tient de l’avocat, de l’homme d’affaires et de l’avoué ; marié à une fille de race irlandaise, sa petite fortune provinciale lui donnait peu de relations avec Londres et l’écartait de tous les détenteurs du pouvoir. Edmond, son second fils, était né sous le règne de Robert Walpole, à Dublin, en 1728 ou 27 ; lui-même hésitait sur la date précise de son baptême.

Du sein de cette obscurité si cachée, élever Burke au premier rang des hommes de son pays, tel est problème que la destinée eut à résoudre ; on ne pouvait l’imaginer plus compliqué ni plus étrange. Burke n’avait rien d’anglais. Il était pauvre et sans crédit, Irlandais, roturier, neveu de catholiques et élève des quakers. Alors tout se faisait par l’aristocratie et la richesse, l’Irlande ne comptait pour rien, le catholicisme