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ses plans à exécution. Quelques mois plus tard, la mort frappait le marquis de Rockingham, auquel succéda le spirituel et indécis lord Shelburne. Burke, redoutant ce caractère, donna sa démission.

Ici se termine la première lutte qu’il ait soutenue, la première époque de sa vie politique, occupée tout entière par la brillante et inutile défense des colonies américaines. Sa seconde campagne, qu’il regardait comme le plus glorieux combat de sa vie, consacrée à la défense des rajahs de l’Inde opprimés par Warren Hastings, est encore dominée par le même sentiment des intérêts de l’humanité, et l’on peut juger maintenant, d’après la correspondance posthume et secrète qui vient d’être publiée, de sa persévérance invincible, de sa moralité austère, de l’enthousiasme religieux et de la vertu désintéressée dont il ne s’écarta pas. Tantôt les Irlandais catholiques lui envoient 22,000 francs comme marque de reconnaissance pour les services rendus par lui à leur communion et à leur pays ; il les leur renvoie en les priant d’employer cette somme à fonder des écoles pour les jeunes catholiques irlandais[1], qui apprendront ainsi à servir leur patrie ou à la sauver. Tantôt un de ses vieux amis, qui sait que Burke n’est pas riche, le prie d’accepter un legs considérable, comme preuve d’admiration et de sympathie ; Burke le remercie par une lettre, chef-d’œuvre de grace et de bon goût dans le refus. Devenu pay-master, trésorier de la guerre sous le second ministère Rockingham, et maître d’émolumens qui eussent suffi à trois fortunes comme celle à laquelle sa situation et son rang pouvaient prétendre, il porte la hache dans ces émolumens même, commence par son propre sacrifice, se dépouille de 200,000 francs de revenu annuel, et fraie ainsi la voie ce grand bill de réforme économique trois fois présenté par lui, trois fois rejeté par les fonctionnaires et les salariés qu’il appauvrissait au profit du trésor. Un soir, il est troublé dans son cabinet par une grande lueur qui vient tomber sur sa table et par des hurlemens qui retentissent au dehors : c’est l’émeute de lord Gordon, une tourbe enragée qui vient de brûler la maison d’un ministre, et qui menace de brûler celles de tous les membres du cabinet ou défenseurs du ministère. Burke descend dans la rue, se mêle aux groupes populaires, y reconnaît bien moins de haine que de turbulence oisive, comme il arrive toujours ; il se met à causer, dit qu’il est Edmond Burke, le membre des communes, l’ami de Rockingham, se livre à ces gens qui ont des torches à la main et des couteaux à la ceinture, discute

  1. Tome II, p. 294.