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on les placarderait à la porte de toutes les églises ! » Sir George Saville écrivait à l’un de ses amis : « Qui n’a pas entendu Burke ce jour-là ne connaît pas le plus éclatant triomphe que l’éloquence humaine puisse remporter. »

Ce triomphe d’admiration et d’enthousiasme n’agissait pas sur les faits : rien n’était gagné. Il fallait encore savoir si l’indépendance de la colonie réaliserait les terribles prophéties de Burke, et renverserait le ministère, si le parti de Rockingham lui succéderait, et si l’on parviendrait à faire dominer en définitive les doctrines aristocratiques du whiggisme de 1688.

North apprend que les troupes anglaises ont été battues près d’York-Town, « ouvre les bras comme un homme qui reçoit le coup mortel (dit un contemporain), et, se promenant dans sa chambre, s’écrie à plusieurs reprises : — Tout est fini ! » Pour lui, tout était fini. Le même jour, il donne à dîner à quelques amis ; un message du roi lui est apporté ; il le lit et garde le silence. La conversation tombe sur le ministre Maurepas, alors fort malade et près de mourir. « Si j’étais ministre de Louis XV, dit un des convives, je voudrais connaître avant de partir le dénouement de la guerre d’Amérique » - « Ce dénouement est connu, répond North très froidement, et M. de Maurepas a le plaisir d’en être instruit. » Puis il donne lecture de la lettre du roi, qui raconte brièvement le désastre de l’armée, et, fidèle à l’entêtement de son caractère, promet à North de le soutenir encore, ce qui était impossible. Le 20 mars 1782, tous les bancs ministériels dégarnis le forcèrent de livrer les portefeuilles au marquis de Rockingham, à lord Shelburne, à Fox, à Burke, qui fut payeur-général, et à leurs amis. North n’avait prévenu aucun de ses adhérens. Les communes, le voyant debout, paré de son cordon bleu et en habit de cour, poussaient de longues clameurs, et le ministre eut peine à se faire entendre ; enfin, profitant d’un intervalle de silence, il annonça la dissolution du cabinet et l’ajournement de la chambre. La pluie tombait ; la plupart des membres, croyant assister à un long débat, n’avaient point donné ordre à leurs voitures de venir les prendre. Ils se pressaient tous sous le péristyle, pendant que North, montant dans la sienne, souriait à ses amis comme à ses ennemis, et leur disait en les saluant : « Bonsoir, messieurs ! j’ai ma voiture ; on gagne quelque chose à être dans le secret. » Cette administration, qui avait ému tant de colères, se terminait par un persiflage.

Les intentions les meilleures, les résolutions les plus droites, animaient le ministère nouveau, qui n’eut le temps de mettre aucun de