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maisons. Le château, malgré tant de parties en ruines, est imposant. Il appartient presque tout entier à l’architecture romane. Une vieille tour, construite avec d’énormes blocs de lave noire, et que la tradition, d’accord, Je pense, avec l’archéologie, rapporte au temps de Charlemagne, domine la ville. La chapelle, composée d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage en parfait état de conservation, l’un en granite, l’autre en marbre blanc, forme un morceau peut-être sans pareil. Tout à côté se trouvent les restes à demi écroulés et tout croulans encore de la grande salle à manger, d’un style romain extrêmement curieux, dans laquelle furent massacrés, dans ce fameux épisode de la guerre de trente ans, les quatre généraux de Waldstein. La maison même où cet illustre général se livra d’une manière si intrépide et si hautaine aux coups de l’assassin est encore debout sur la grande place, où elle forme la demeure de M. le bourgmestre. Jusqu’à ces derniers temps, la chambre dans laquelle était tombé le héros avait été conservée fidèlement, les taches de sang s’y voyaient toujours, et l’on peut dire que les curieux, depuis la tragique journée du 25 février 1634, n’avaient cessé de se succéder pour contempler à l’envi ces traces parlantes de l’attentat : je crois même du qu’on les repeignait de temps en temps. Quoi qu’il en soit, le bourgmestre actuel, M. Totzauer, a fait laver tout cela : je m’imagine que c’est un soin de propreté dont la maison d’Autriche n’aura pas manqué de lui savoir quelque gré.

Avec tout cela, monsieur, bien que Francesbad ait été continuellement en progrès depuis sa fondation, son développement n’a pourtant pas été aussi vif que l’on aurait pu le penser. On en a signalé diverses causes ; mais la principale, selon moi, c’est la concurrence que lui a suscitée Marienbad. M. l’abbé de Tepl, après avoir en l’idée de ce bel établissement, s’y est pris avec tant d’intelligence, d’activité, j’oserais presque dire, si ce mot pouvait s’employer avec respect, de savoir-faire, que la nouvelle ville n’a pas tardé, il faut le reconnaître, à prendre le pas sur son aînée. Tandis qu’Égra était réduite à marchander sur ses moindres dépenses pour Francesbad, le riche abbé, maître des immenses revenus de son abbaye, semait à profusion. Aussi a-t-il abondamment recueilli. On a pour ainsi dire cessé d’entendre le nom de Francesbad, tant celui de Marienbad s’est annoncé avec fracas, préconisé par toute la presse de l’Allemagne, au nord et au midi. Cette année, à mon départ de Francesbad, le nombre total des étrangers, depuis le commencement de la saison, était d’un peu plus de deux mille, tandis qu’il était de trois mille à Marienbad. Tel est à peu près le rapport habituel des deux prospérités. Si grande que soit la seconde, elle ne met cependant pas encore tout-à-fait à néant la première.

Il est certain que tous les malades à qui la Faculté permet de demeurer indécis doivent naturellement opter pour Marienbad, qui est plus riant, plus gai, plus animé ; mais peut-être aussi se trouve-t-il à ces eaux plus d’un baigneur qui, médicalement, trouverait bien mieux son fait dans leurs voisines. Les grandes célébrités, quand la nouveauté augmente encore leur éclat, ont