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de patience, on est à Egra. D’ailleurs, si vous me permettez de tout dire, les frais du voyage sont bien amplement compensés par l’économie du séjour. Il y a même peut-être excès à cet égard, car, je ne le cache point, on s’amuse peu à Francesbad. Point de bals, point de fêtes, point de soirées : la règle de l’endroit proscrit toutes ces agitations. On vit bien, mais tout tranquillement, Les logemens, sans être brillans, sont d’une tenue suffisante. Il y a deux restaurans principaux, celui du Pavillon, plus officiel, celui de la porte de Brandebourg, plus souriant, et l’on se fait servir chez soi si l’on veut. La grande colonnade de la Prairie forme le point de réunion. C’est là qu’il y a foule tous les matins dès six heures : ne faut-il pas que les dames apprennent en effet à se retirer de bonne heure pour se faire si matinales ? L’orchestre retentit, on se prodfène, on cause, on se croise, on s’arrête ; les terribles verres d’eau disparaissent coup sur coup sans résistance. Du reste, on ne peut pas être mieux partagé en fait de médecin. Le docteur Cartellieri, placé depuis peu par le gouvernement autrichien à la tête de ces eaux, est un des praticiens les plus distingués de la Bohême. Non-seulement on rencontre chez lui le savoir désirable, mais l’esprit et l’aménité, qui ne sont pas moins nécessaires dans un poste de cette nature. Il parle le français avec, une vivacité toute parisienne, et sans rien qui rappelle cet effroyable accent des Allemands : il suffit de l’entendre pour s’apercevoir que l’on a effectivement le pied de l’autre côté de la Germanie. La première fois que j’eus l’honneur de le voir, je le trouvai dans son cabinet, entouré des portraits de nos plus illustres médecins de Paris. « Ah ! docteur, lui dis-je, je vois que nous sommes bien ingrats, car Francesbad est à peine, pour Paris, une connaissance. » En effet, au milieu de tant d’Allemands du nord et du midi, de Russes, de Polonais, d’Anglais, de Valaques même, non-seulement, il n’y avait pas, cette année, excepté moi, un seul Français à Francesbad, mais c’est à peine si l’on se souvient qu’il en soit jamais venu. Je m’imagine toutefois, monsieur, que c’est une négligence qui n’est pas destinée à durer. En même temps que toutes les distances diminuent en Europe, notre siècle semble engendrer, avec une fréquence de plus en plus effrayante, les maladies qui doivent faire converger de tous côtés vers Francesbad les rayons de l’espérance. Avant deux ans, le chemin de fer de Francfort à Leipsig déposera au pied de la montagne, à Hof, à six lieues seulement de ces sources bienfaisantes, tous ceux qui voudront en éprouver la vertu. Elles ne seront plus qu’à douze heures de Strasbourg. Qui pourrait dire si la société parisienne n’y deviendra pas alors dominante ?

Veuillez agréer, etc.