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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/712

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Ainsi l’assassin du père Charles ne subira pas un nouveau jugement comme M. de Bourqueney l’avait demandé, mais simplement une réprimande et un exil momentané ; puis, l’indemnité réclamée par notre ambassadeur pour compenser les pertes qu’avaient éprouvées nos compatriotes par l’évacuation temporaire du Liban, si elle a été accordée en principe, est tellement minime, qu’elle devient chose dérisoire. Ce n’est pas par de semblables résultats que sera fortifiée notre autorité morale auprès du gouvernement turc. L’espèce d’interrègne qui, à Constantinople, avait succédé à la chute de Riza-Pacha, est enfin terminé, et le pouvoir revient aux mains de Rechid-Pacha qui nous quitte dans quelques jours pour aller diriger le département des affaires étrangères. Avec Rechid-Pacha, des idées sages de réforme intérieure et, pour ainsi dire, les principes constitutionnels vont reparaître dans le divan : nous y applaudirions sans réserve, si la partialité que l’ambassadeur qui nous quitte a témoignée, dans plusieurs circonstances, en faveur de l’Angleterre ne nous revenait à l’esprit. Toutefois les leçons du temps et de l’expérience ne sauraient être perdues pour une intelligence vraiment politique. Rechid-Pacha a pu se convaincre que la France est sincère quand elle professe le principe de l’indépendance de l’empire ottoman, et cette persuasion doit, à la longue, modifier à notre égard les sentimens de cet homme d’état.

En Suisse, les passions politiques ont pour aliment un procès fameux. Des révélations secrètes et une enquête habilement conduite ont amené la découverte de l’assassin de M. Leu. Ce misérable a fini lui-même par avouer son crime ; il en avait conçu la pensée première par vengeance, par intérêt personnel, puis il y aurait été encouragé par des personnages du parti radical qui lui auraient promis jusqu’à 70,000 francs, s’il exécutait le coup qu’il avait prémédité. Cependant M. Casimir Pfyffer a été arrêté, non qu’il ait pris part au complot ; mais, suivant l’enquête, il en aurait eu connaissance et ne l’aurait pas révélé, comme sa qualité de membre du grand conseil lui en faisait particulièrement un devoir. M. Casimir Pfyffer, d’une famille historique en Suisse, était un des principaux chefs du précédent gouvernement libéral de Lucerne. Froid, réservé, peu sociable même, il a néanmoins toujours passé pour un homme parfaitement honorable, et il est véritablement au-dessus du soupçon d’avoir pu prendre part à un assassinat politique. Le gouvernement de Lucerne a fait, nous le croyons, une faute en prenant une mesure aussi rigoureuse contre un de ses adversaires les plus estimés. L’arrestation de M. Pfyffer, ordonnée provisoirement par le juge instructeur de l’enquête, a été confirmée par le grand conseil. Au reste, il y a quelque chose de plus important que l’arrestation du docteur Pfyffer, c’est l’esprit qui continue d’inspirer la fraction extrême du parti radical, c’est l’attitude menaçante que ce parti conserve dans le canton de Berne, malgré le fameux vote de confiance sur lequel on pourrait bien avoir fondé un espoir prématuré. Le grand conseil qui a rendu ce vote est nommé par une double élection ; il est composé en