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terrain politique, orangistes, libéraux et ultralibéraux. En 1839, la maison de Hollande renonça à ses droits sur la Belgique, et les orangistes, désormais sans drapeau, se disséminèrent tout naturellement dans les deux fractions libérales ; en 1841, la rupture ouverte des modérés avec le clergé amena le rapprochement de ces deux fractions, et la franc-maçonnerie, soumise à une impulsion unique, put enfin généraliser ses efforts.

Les loges sont devenues dès ce moment de grands centres électoraux, correspondant entre eux, ayant leur fonds social, leurs recruteurs de voix, leurs journaux, leurs quêtes annuelles, destinées à subventionner les universités laïques, à parfaire le cens électoral des affidés, et, s’il faut tout dire, à payer les tonnes de bière où doivent, au jour des élections, se noyer les derniers scrupules des électeurs campagnards ; elles ont copié en un mot, sous toutes ses formes et dans tous ses abus, la formidable stratégie du parti clérical, opposant aux mandemens les brochures, à la chaire la presse, au confessionnal le cabaret. Dans quelques villes, comme à Bruxelles, Liége, Tournay, Ypres, les loges se sont constituées en associations publiques, pour devenir accessibles à ceux des libéraux qu’effrayait le titre de franc-maçon. Leur puissance s’en est considérablement accrue. Voilà comment, dans les élections de 1843, les libéraux ont pu si bien résister aux efforts combinés d’un parti plus influent que jamais, puisqu’il avait désormais pour lui l’aristocratie, et d’un ministère d’autant plus dangereux que la plupart de ses candidats déguisaient leurs tendance sous les dehors du libéralisme.

De son côté, le clergé a rendu guerre pour guerre. La presse libérale, qui précédemment n’avait subi que des attaques isolées, a été excommuniée en masse par les évêques réunis à Malines en septembre 1843. Le but politique de cet anathème était plus que jamais évident, car les journaux libéraux, par tactique, sinon par conviction, affectaient dans leur polémique la plus minutieuse orthodoxie, et séparaient scrupuleusement le prêtre du citoyen. La pastorale invitait les curés « à établir dans les paroisses respectives une association chargée d’arrêter la circulation des mauvais écrit. » Elle leur enjoignait « d’avertir premièrement les ouailles au prône, secondement au tribunal de la pénitence, publicè et per domos, à temps et à contre-temps, les suppliant avec menaces de la part de Dieu, en toute douceur et selon la science, de renoncer entièrement et pour toujours à la lecture des mauvais livres et des mauvais journaux. » Plus francs que la pastorale, les curés ont traduit mauvais par libéral, et