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veloppent sur le sommet d’un pic isolé, soit enfin devant un de ces puissans instrumens qui dissolvent en étoiles des nébuleuses lointaines.

La simple accumulation d’observations de détail sans rapport entre elles, sans généralisation d’idées, a pu conduire sans doute à un préjugé profondément invétéré, à la persuasion que l’étude des sciences exactes doit nécessairement refroidir le sentiment et diminuer les nobles plaisirs de la contemplation de la nature. Ceux qui, dans le temps où nous vivons, au milieu des progrès de toutes les branches de nos connaissances et de la raison publique elle-même, nourrissent encore une telle erreur, méconnaissent le prix de toute extension de la sphère intellectuelle, le prix de cet art de voiler, pour ainsi dire, le détail des faits isolés, pour s’élever à des résultats généraux.

Souvent, au regret de sacrifier, sous l’influence du raisonnement scientifique, la libre jouissance de la nature, s’ajoute une autre crainte : on se demande s’il est donné à toutes les intelligences de saisir les vérités de la physique du monde. Il est vrai qu’au milieu de cette fluctuation universelle de forces et de vie, dans ce réseau inextricable d’organismes qui se développent et se détruisent tour à tour, chaque pas que l’on fait dans la connaissance plus intime de la nature conduit à l’entrée de nouveaux labyrinthes ; mais c’est l’excitation d’un sentiment divinatoire, c’est la vague intuition de tant de mystères à dévoiler, la multiplicité des routes à parcourir, qui, à tous les degrés du savoir, stimulent en nous l’exercice de la pensée. La découverte de chaque loi de la nature conduit à une autre loi plus générale, en fait pressentir au moins l’existence à l’observateur intelligent. La nature, comme l’a définie un célèbre physiologiste, et comme le mot même l’indique chez les Grecs et chez les Romains, est « ce qui croît et se développe perpétuellement, ce qui n’a de vie que par un changement continu de forme et de mouvement intérieur. »

La série des types organiques s’étend ou se complète pour nous à mesure que, par des voyages de terre ou de mer, on pénètre dans des régions inconnues, que l’on compare les organismes vivans avec ceux qui ont disparu dans les grandes révolutions de notre planète, à mesure aussi que les microscopes se perfectionnent, et que l’usage s’en répand parmi ceux qui savent s’en servir avec discernement. Au sein de cette immense variété de productions animales et végétales, dans le jeu de leurs périodiques transformations, se renouvelle sans cesse le mystère primordial de tout développement organique, ce problème de la métamorphose, que Goethe a traité avec une sagacité supérieure,