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phore nous avions été accostés par un caïque rempli de femmes destinées au fils d’Hussein, pacha de Widdin. La nouvelle de l’arrivée des belles odalisques s’était répandue par la ville, et les badauds (où n’y en a-t-il pas ?) s’étaient rassemblés en grand nombre. Une foule est aussi curieuse en Turquie qu’elle est ennuyeuse en France, ce qui n’est pas peu dire. On ne se lasse pas de voir les turbans de toutes couleurs, les tuniques de toutes formes, et ces beaux visages olivâtres des Orientaux. J’aperçus pour la première fois, à Widdin, des femmes serviennes. Leur costume est, à mon goût, extrêmement gracieux. Il consiste en une chemise de toile blanche serrée autour des reins par une écharpe rouge qui retient un court jupon de même couleur. Leurs cheveux, divisés en longues tresses, chargés de sequins d’or et d’argent et retenus par un ruban blanc, forment une coiffure un peu moins embarrassante pour la statuaire que les cornets de carton dans lesquels se cachent les visages des Parisiennes. Elles ont les jambes et les pieds nus, et ce costume, sans être tout-à-fait aussi léger que celui de Rébecca qu’il rappelle, laisse deviner de belles formes que n’a pas torturées dès l’enfance un busc impitoyable. La transparence des costumes n’a pas les inconvéniens que l’on pourrait imaginer ; on s’y habitue bien vite. Il y avait là, je me le rappelle, cinq ou six garçons de douze à quatorze ans, hâlés comme des nègres et nus comme des sauvages, dont tout le costume consistait en une calotte rouge. Nul n’y prenait garde. Les Serviennes, d’ailleurs, sont plus habillées que nos élégantes en costume de bal ; seulement leurs robes sont décolletées par en bas au lieu de l’être, comme à Paris, par en haut.

Pour dernière curiosité, il y avait, sur le quai de Widdin, une voiture, et quelle voiture ! Les chaises de nos aïeux n’en peuvent donner une idée. Jamais coucou, cabriolet-compteur, tricycle ou vespasienne n’eut une forme plus étrange. Cette voiture était attelée de quatre chevaux et escortée d’une troupe de cavaliers en costume militaire. Comme on le devine, elle avait été conduite à l’intention des belles Circassiennes que nous n’amenions pas. Un grand officier, qui était venu les réclamer, dut s’en retourner l’oreille basse, et la foule, trompée dans son attente, s’écoula rapidement.

Widdin est une ville de vingt mille habitans, gouvernée, grace à l’importance de sa position, par un pacha à trois queues, et le voyageur, après avoir visité les bazars, corridors vides et délabrés, se déclare ordinairement satisfait. Moi, je ne me contentai pas de si peu. J’aime assez à voir ce que les autres ne voient pas, et j’étais décidé à aller faire une visite au pacha, au fameux Hussein. Deux choses me