Elles se hâtèrent de s’habiller, puis elles se mirent à genoux et prièrent ensemble. Les deux cousines avaient passé une partie de la nuit dans un long entretien, et Anastasie savait enfin l’espèce de secret de famille qu’on lui avait si long-temps caché. La fière demoiselle s’étonnait au fond de son ame qu’une fille du sang de Colobrières eût ainsi dérogé ; mais les préjugés de son éducation n’allaient pas jusqu’à étouffer la sympathie, l’amitié que lui inspirait déjà la fille de Pierre Maragnon, et c’était avec une sorte de transport qu’elle s’abandonnait à cette nouvelle et charmante intimité.
Éléonore ouvrit la fenêtre et s’avança sur l’étroit balcon ; son regard embrassa alors un mélancolique tableau : à ses pieds, elle apercevait la cour d’honneur encore à moitié pavée de larges dalles entre lesquelles rampaient la ronce stérile et l’inutile chiendent ; au fond de cette enceinte s’étendait un grand corps de logis dont les fenêtres béantes n’avaient plus ni vitres, ni volets. La grosse tour carrée qu’on appelait le donjon dominait de sa masse solide ces murs ruinés ; les deux ailes qui formaient les côtés de la cour étaient dans le même état de délabrement ; toutes les ouvertures étaient à jour, et les hirondelles nichaient maintenant au plafond de la salle où avait commencé jadis la romanesque aventure qui se dénoua dans l’église de Saint-Peyre.
— Voilà donc la demeure et le domaine des Colobrières ! murmura Éléonore avec un soupir ; quelle décadence !
Elle s’accouda au balcon, pensive et les larmes aux yeux ; l’aspect de ces lieux dévastés la frappait douloureusement : en ce moment, la riche héritière de Pierre Maragnon regretta de ne point porter ce nom de Colobrières auquel était attaché le droit de relever ces ruines.
— Nous sommes pauvres, ma cousine, dit Anastasie avec un tranquille orgueil ; mais, voyez-vous, noblesse passe richesse, et notre père vit ici content et respecté comme un roi. Qu’importe, après tout, que le temps démolisse ces grandes salles que nous n’habitons pas ? La partie du château que nous occupons est solide encore ; si elle menaçait ruine, nous irions nous établir dans le donjon. Elle ne s’écroulera pas, la tour du donjon ; elle restera debout jusqu’à la fin des siècles, quoiqu’elle soit aussi ancienne que le nom de Colobrières.
— La tour de Belveser était encore plus ancienne, à ce qu’on assure, dit Eléonore en regardant les ruines qui se dessinaient à l’horizon.
— Oui, mon père le dit ; mais ce n’est pas le temps qui l’a renversée, répliqua vivement Anastasie : elle fut prise d’assaut, saccagée et démantelée par les Espagnols au temps de Charles-Quint. Un des leurs,