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permis de l’accompagner ! Elle m’a tant parlé de sa visite au château de Colobrières et du bon accueil qu’elle y a reçu, que j’ai osé espérer pour moi une petite part de cette bienveillance.

Heureusement pour la pauvre Anastasie, à laquelle ce discours semblait s’adresser particulièrement, Mlle de la Roche-Lambert prit à son tour la parole. C’était un vieille fille qui se fardait, mettait des mouches, et portait des souliers à talons pour se promener dans la campagne.

— Mesdemoiselles, dit-elle en tirant un livre de sa poche et en arrangeant sur ses genoux son mouchoir, sa tabatière, son éventail et sa cassolette au vinaigre des quatre voleurs, mesdemoiselles, je suppose qu’au lieu de vous tenir tranquilles ici, vous allez chercher des violettes dans l’herbe et courir après les papillons ; mais moi je reste, et vais vous attendre en lisant les Epreuves du Sentiment, à moins toutefois que ces messieurs ne me fassent l’honneur de me tenir compagnie.

Dominique Maragnon salua en signe de remerciement, et suivit discrètement le cadet de Colobrières, tandis que les deux cousines descendaient le sentier en se tenant par la main. Cette fois Éléonore avait évité avec une délicate attention toute espèce de luxe dans sa toilette ; elle avait abandonné les dentelles, les riches soieries et tous les charmans atours dont sa mère aimait à la parer. Un déshabillé de toile de Perse aux vives couleurs serrait à peine sa fine taille, et un petit chapeau de marli, enjolivé de rubans, était posé de côté sur ses cheveux, dont une légère couche de poudre n’empêchait pas de reconnaître la nuance d’un blond doré ; elle ressemblait ainsi à une de ces jolies bergères que Watteau mettait dans ses paysages, et que nous retrouvons encore sur les éventails que nous ont légués nos grand’mères. Pourtant la brune Anastasie était encore plus belle avec sa jupe un peu fanée, son casaquin étriqué, et ses cheveux noirs simplement relevés sous sa coiffe de linon, qu’Éléonore dans son frais costume de campagne. C’était la première fois que Mlle de Colobrières voyait un jeune homme comme ce cousin Dominique, dont Éléonore lui avait vanté l’esprit et les bonnes manières. Le nom de Maragnon l’avait un peu révoltée d’abord ; mais elle s’y habituait déjà, et établissait entre le jeune roturier et le descendant des Colobrières une comparaison qui n’était pas entièrement à l’avantage de ce dernier. Elle trouvait que Dominique Maragnon avait tout-à-fait bon air avec son élégante polonaise, son chapeau rond à boucle d’acier, tandis que Gaston marchait tout d’une pièce dans son habit du dimanche et était plutôt