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quand on suppose qu’un pays vaste puisse jamais compter, pour son approvisionnement en céréales, sur les importations du dehors ; que l’abondance et la sécurité ne peuvent naître dans un tel pays que de l’extension donnée à la culture, et que le vrai, le seul moyen d’étendre cette culture, c’est d’autoriser toujours, de favoriser au besoin l’exportation : d’où il suit, contrairement à l’opinion reçue, que l’abondance naît essentiellement de la faculté d’exporter. Mais, avant d’entrer dans le développement de cette pensée, il est à propos de compléter ce qui précède par une nouvelle observation.

Le tableau que nous venons de présenter résume d’une manière assez exacte l’ensemble des idées qui ont présidé, dans tous les temps, à la confection des lois en ce qui touche les céréales. Toutefois cette théorie, si l’on peut donner le nom de théorie à ce qui n’est au fond qu’un entraînement aveugle, s’est accrue dans ces derniers temps, et sous l’empire des gouvernemens constitutionnels modernes, d’un élément nouveau. Jusque-là, et dans tous les temps antérieurs, lorsqu’un gouvernement s’avisait de toucher aux lois concernant les céréales, à moins qu’il ne fût conduit par un esprit de fiscalité qui s’est assez rarement exercé sur cette matière, il le faisait uniquement dans l’intérêt de la subsistance du peuple. Cet intérêt, bien ou mal compris, était son invariable guide. Assurer l’approvisionnement régulier du pays, et maintenir les substances alimentaires à des prix facilement abordables pour tout le monde, tel était le but unique et constant de toutes les lois. Depuis l’établissement des gouvernemens constitutionnels modernes, un nouveau principe, pour mieux dire, un nouvel intérêt a surgi : c’est l’intérêt des propriétaires fonciers, qui, sous le nom d’intérêt agricole, est venu compliquer le débat. Comme dans tous les états constitutionnels de l’Europe, sans en excepter la Belgique, les droits électoraux ont été plus ou moins exclusivement confiés aux propriétaires du sol, qui sont devenus par là les arbitres des destinées ministérielles aussi bien que la source première des lois, l’intérêt de ces propriétaires a acquis tout à coup, sous l’empire de ce régime, une importance extraordinaire, inusitée, qui l’a fait mettre plus d’une fois en balance avec l’intérêt même de la subsistance du peuple, ce grand souci de tous les législateurs anciens. De là un système nouveau, système plus compliqué que l’ancien, et en quelque sorte double, dans lequel on a essayé le plus souvent de concilier les deux principes ou les deux intérêts contraires. Il peut se résumer ainsi : restreindre d’une part l’exportation des grains indigènes