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la balance faite, on tire hardiment les conséquences. Comme il arrive toujours qu’à la suite de ces calculs les chiffres de la consommation et de la production s’alignent, soit parce que telle est en effet la situation : de la plupart des peuples de l’Europe, soit encore parce que les tableaux de statistique, doués qu’ils sont d’une élasticité merveilleuse, sont dressés de manière à amener ce résultat, on en conclut sans hésiter qu’il faut que le pays se retire en quelque sorte en lui-même, en réservant pour sa consommation propre tout ce que son territoire produit. Et c’est avec de semblables raisonnemens que les lois sont faites, et ceux qui les produisent se vantent hautement d’avoir tiré l’économie politique de la sphère des abstractions pour l’asseoir sur la basa, solide des faits !

Il n’est pourtant pas difficile de distinguer l’erreur grossière qui se cache derrière ces ambitieux calculs. Que prouvent au fond les chiffres qu’on invoque, en les supposant aussi exacts qu’ils le sont peu ? Une seule chose : la production actuelle du pays ; mais, à moins qu’on ne suppose que cette production soit la dernière limite du possible, quelle conséquence peut-on en tirer par rapport à la production future ? Aujourd’hui, et sous l’empire des lois existantes, la consommation et la production s’alignent ; soit : voilà tout ce que la statistique prétend prouver. Est-ce à dire qu’il en sera toujours de même, et que les chiffres reconnus demeureront constans, invariables, même sous un régime nouveau ? On dirait vraiment, à entendre ces hardis calculateurs, qu’il y a dans chaque pays une certaine étendue de terres pour toujours et exclusivement consacrée à la culture des céréales, sans que cette culture soit susceptible ni de se resserrer, ni de s’étendre. On dirait qu’une sorte de loi impérieuse force les cultivateurs à tourner éternellement dans le même cercle, à tracer invariablement le même sillon.

En toutes choses, la production, à moins qu’elle ne soit limitée pas la nature des choses, tend à se mesurer sur l’étendue du débouché. Il peut y avoir de l’erreur quelquefois, soit en plus, soit en moins, surtout dans les pays où la main indiscrète du législateur a, par de fausses mesures, jeté le trouble dans l’économie industrielle ; la tendance n’en est pas moins constante, et il est rare qu’elle ne produise pas à la longue tous ses effets. Pourquoi la production des céréales ferait-elle