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de temps où l’importation fut autorisée dans ce pays comprend quelques-unes des années les plus désastreuses qu’il ait connues. C’est donc bien mal à propos que quelques adversaires déterminés des prohibitions, entre autres les chefs de la ligue formée en Angleterre pour l’abolition des lois-céréales (anti-corn-law-league), exaltent les ressources que l’importation pourrait offrir, et fondent sur cette espérance tous leurs calculs.

Est-ce à dire que la faculté d’importer soit indifférente pour un pays ? Loin de là. Seulement ce n’est pas à titre de ressource que cette faculté est particulièrement précieuse ; elle l’est avant tout en ce sens qu’elle empêche le monopole à l’intérieur et qu’elle modère les prix.

Ce qui fait naître l’abondance, ce qui préserve un pays de la disette, de la famine, de toutes les angoisses de la peur comme de la faim, c’est l’extension de la production locale, c’est le large développement de la culture. Voulez-vous ne jamais manquer du nécessaire, faites en sorte que votre propre sol fournisse en tout temps un superflu. Il ne s’agit donc que de savoir sous l’empire de quel régime la production locale se développe : or, la raison ne dit-elle pas que ce régime n’est autre que celui où les denrées produites trouvent constamment le débouché le plus étendu, le plus facile, au dehors comme au dedans ?

On a imaginé à cet égard d’étranges systèmes. Il semble d’abord que l’on parte toujours de cette hypothèse, que la culture, particulièrement celle des céréales, soit un fait constant, une sorte de donnée invariable. On suppose qu’un pays produit toujours en grains tout ce qu’il peut produire : rien de plus, rien de moins. Tel a été le point de départ de tous les systèmes anciens ; autrement ces systèmes ne s’expliqueraient point. Telle est encore la pensée qui se révèle aujourd’hui même dans toutes nos discussions publiques ; seulement cette pensée, qui n’est au fond qu’un préjugé très vieux, se présente toujours désormais avec un appareil de chiffres qui lui donne une sorte de vernis scientifique. Pour juger, dit-on, si l’on peut autoriser l’exportation des grains, il faut savoir si la production locale suffit aux besoins du pays ou les excède, et sur ce fondement on travaille à dresser de laborieux calculs. On présente, d’un côté, le tableau de la population et celui de la consommation par homme ; de l’autre, le tableau des terres labourables, ou mieux encore, le chiffre supposé des hectares cultivés en céréales, et le produit moyen de chacun de ces hectares[1] :

  1. Ce calcul de la production a été fait en France en 1811 et en 1817. En Angleterre, au rapport de M. Mac-Culloch, on a renoncé à faire des calculs de ce genre, pour ne plus estimer la production que d’après la consommation. Les résultats n’en sont pas moins toujours hypothétiques.