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flottante qui, ne trouvant de débouché nulle part, retombe de tout son poids sur le marché. Comment veut-on qu’un pays se tienne en repos au milieu de ces agitations continuelles ? Quelle sécurité d’une part pour le peuple ? quel encouragement de l’autre pour la culture ?

Mais, dira-t-on, si les quantités de grains qu’on peut importer dans un pays sont peu de chose relativement à la consommation totale, et ne suffisent jamais pour combler le vide de la production, par une raison semblable les quantités dont ce même pays fait un objet de commerce à l’extérieur ne forment aussi qu’une fraction assez mince de sa production totale. Dans le temps de son plus grand commerce en grains, l’Angleterre n’en exportait guère, année commune, que pour une valeur d’environ 35 millions[1], et les plus fortes exportations des autres pays n’excèdent guère en moyenne ce chiffre. Comment donc de si grands avantages peuvent-ils découler d’un accroissement de vente qui paraît si médiocre ? Nous pourrions dire à cela qu’un excédant relativement assez faible suffit, quand toute voie est fermée à son écoulement au dehors, pour produire l’encombrement à l’intérieur, d’autant mieux que les influences morales se mêlent toujours à celles qui naissent de l’état du marché. Y a-t-il un trop plein, le fermier se hâte de vendre pour réaliser, dans la crainte de ne pouvoir le faire quand le moment d’urgence sera venu, tandis que par une raison semblable l’acheteur se montre lent à se pourvoir, et par là ils contribuent l’un et l’autre à augmenter l’encombrement qui existait déjà. Au contraire, quand l’exportation est permise, la certitude d’un écoulement possible au dehors laisse tout le monde dans son assiette. Ces raisons toutefois seraient insuffisantes, si l’on ne tenait compte d’un fait bien important, bien grave, et généralement trop peu observé : c’est l’existence du commerce des grains, c’est l’intervention régulière des spéculateurs dans ce commerce partout où l’exportation a lieu, et leur disparition presque absolue là où cette même exportation est interdite.

Que les commerçans, intermédiaires entre le producteur et le consommateur, se montrent en effet ou disparaissent dans les circonstances dont nous parlons, c’est un fait d’observation très facile à vérifier, et qui d’ailleurs s’explique. Le commerce, pour nous servir d’une expression triviale, veut avoir ses coudées franches ; il lui faut

  1. C’est, en effet, la moyenne de l’exportation des cinq années 1746 à 1750 inclusivement.