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effets constans ou durables. Quand survient à l’improviste, comme sous le ministère Villèle, un dégrèvement de l’impôt foncier, ou bien, comme dans les premières années de la restauration, une mesure restrictive qui élève subitement le produit des exploitations rurales, c’est, durant un certain temps, le cultivateur qui en profite, parce qu’il est le possesseur actuel, et que les conditions de sa possession ont été réglées par un bail sous l’empire d’un autre régime. Et voilà précisément pourquoi, dans tous les débats publics sur ces matières, le cultivateur incline, contre son intérêt véritable, vers le parti du propriétaire foncier. Mais son privilège n’a qu’un temps, il dure précisément autant que le bail qui lui est concédé. C’est donc toujours en dernière analyse au propriétaire seul que se rapportent les conséquences onéreuses ou favorables de toutes les mesures législatives qui ont pour effet d’augmenter ou de diminuer le produit des exploitations rurales.

Maintenant, qu’on veuille bien nous dire comment et dans quel sens l’agriculture est intéressée à ce que des propriétaires, qui vivent pour la plupart au sein des villes, voient grossir de cette manière artificielle leurs revenus ? En quoi cela contribue-t-il au progrès de la culture ? Quel avantage en retire cette nombreuse population qui vit du travail des champs ? Et quand même on supposerait, ce qui n’est pas, que la plupart des propriétaires fonciers cultivent eux-mêmes leurs terres, quel avantage y aurait-il encore à ce qu’ils prélevassent, à titre de propriétaires, une rente plus forte ? On cherche vainement à se faire illusion à cet égard : l’agriculture n’est en aucune manière intéressée dans le maintien des restrictions que l’on réclame en son nom. Loin de là ; son intérêt bien entendu en demanderait l’abolition entière. Tous les jours on invoque à grands cris, pour les cultivateurs, le bénéfice du crédit, et en effet c’est de l’extension du crédit que le progrès de l’agriculture dépend ; mais ceux qui élèvent le plus haut la voix pour en appeler la bienfaisante influence sur nos campagnes ne s’aperçoivent pas que, par la fausse tendance de leurs doctrines, ils l’en éloignent de plus en plus. Ni l’institution de ce qu’on appelle les banques agricoles, ni la réforme même du régime hypothécaire ne peuvent remplir l’objet qu’on se propose, car une banque agricole, nous l’avons expliqué ailleurs[1], est une institution contre nature, qui ne saurait prospérer long-temps, et le régime hypothécaire ne touche que fort peu les cultivateurs, dont la plupart ne sont

  1. Revue des Deux Mondes du 1er septembre 1842.- Du crédit et des banques.