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Lucile n’avait pas vingt ans quand Scipion lui fut enlevé ; il se fit un devoir de venger le souvenir de son maître, de stigmatiser ses assassins, de rappeler en vers les vertus du grand citoyen : le reste de la vie de Lucile est inconnu. On peut soupçonner seulement qu’il fut publicain en Asie, et qu’il voyagea dans la grande Grèce. Ses richesses étaient nombreuses ; il avait beaucoup d’esclaves, et des troupeaux qu’il faisait, au mépris des lois, paître sur les terres publiques, ce qui lui attirait des procès. La maison de Lucile à Rome avait été construite par l’état, soixante ans auparavant, pour Antiochus Épiphanes, que le roi de Syrie, son père, avait livré en otage aux Romains. Nous savons aussi le nom de quelques-uns de ses amis, les orateurs Posthumius et Licinius Crassus, le grammairien Stilo qui fut précepteur de Varron, et ce crieur Granius dont les célèbres bons mots faisaient fortune par la ville. Ces liaisons précieuses durent le distraire des inquiétudes que lui donnait sa santé, car il s’en plaint souvent, et il exprime même, à un endroit, le noble vœu « que le corps pût demeurer aussi ferme en son enveloppe que la pensée de l’écrivain demeure vraie dans son cœur. » On soupçonne que ses souffrances le déterminèrent à quitter Rome ; il alla mourir à Naples en 651, âgé de quarante-six ans. Cette cité lui accorda des funérailles solennelles, honneur que Rome, on l’a remarqué, avait refusé à Scipion.

Tous les écrits de Lucile se sont perdus : on avait de lui, à ce qu’il semble, outre ses satires, des hymnes, des comédies[1], des épodes, une histoire privée de la vie de Scipion ; mais peut-être, les Saturœ admettant le mélange de tous les genres, des scènes comiques, des iambes s’y trouvaient-ils tout aussi bien que le récit de certains actes de Scipion. En détachant ces différentes parties pour en faire des volumes séparés, les grammairiens et les copistes obtinrent un Lucilius comicus, un Lucile auteur d’épodes, un Lucile biographe de l’Africain. Mais que nous importe ? c’est l’écrivain que nous voulons retrouver, et qu’il nous reste à chercher dans ses fragmens.

L’originalité de Lucile, comme auteur, de satires, est d’avoir donné au genre créé par Ennius une forme mieux entendue, comme l’a dit

  1. M. Peterrnann (de Lucilii vita ; Breslau, 1842, in-8o, p. 9 et 11) dit qu’il n’y a rien dans les fragmens de Lucile qui puisse faire supposer que le poète avait écrit des comédies. C’est une erreur. Voyez les derniers livres, le livre XXVIII surtout, où l’on retrouve plusieurs incidens des Adelphes de Térence. Quand M. Petermann assure que Lucile n’avait point composé d’épodes, il se trompe ; le grammairien Diomède (édit. de Putsch, p. 482) dit positivement le contraire.