fort en honneur, et où l’image du saint, pendue comme un baromètre, devient tour à tour, sous sa vitre protectrice, l’objet des prières, des fureurs et des remerciemens des matelots. Ils sont conteurs, orateurs, poètes, turbulens, en définitive les moins disciplinés du monde et les moins capables de diriger un navire et de tenir la mer. On rase les côtes, on donne à peu près sur tous les bancs de sable et tous les rochers ; on crie, on chante, on boit, et l’on invoque le patron ; puis le ciel se couvre, et l’émeute, qui s’empare du navire, éveille le vieux démos d’Aristophane, qui veut jeter le capitaine à l’eau ; enfin Eothen, que cette scène, digne de l’Agora d’Athènes, intéresse fort, débarque, toujours riant, à Limesol, dans l’île de Chypre. Là il est accueilli par un pauvre diable de vice-consul qui massacre ses poulets pour lui donner à dîner, et le fait asseoir entre Socrate ou Zocrâtie, Aspasie ou Azpâhzie, et Alcibiade ou Alkibiades, ses trois enfans ; puis la conversation s’engage sur la terrasse de sa maison, le salon ordinaire des Orientaux, à l’effet de savoir « pourquoi M. de Rothschild n’est pas roi d’Angleterre ? »
Eothen, après avoir rendu sa visite à Paphos, qu’on appelle Baffo, continue ses études féminines, et déclare que le prix de la grace appartient, entre toutes les femmes de la Grèce, à la Cypriote. « Elle a le je ne sais quoi des Parisiennes, ce charme que les Hellènes, dans la souplesse de leur idiome fécond, essaient en vain d’exprimer ; ils les nomment « les plus politiques des femmes, politikôtatai, reines des sourires et des fantaisies. » Le balancement d’une taille svelte, les lignes onduleuses d’un col finement attaché, l’invention élégante d’un costume moitié classique, moitié ottoman, la liberté d’une chevelure qui baigne de ses flots leurs épaules blanches, troublaient ou captivaient encore l’imagination de notre humoriste, lorsque la ville de Larnecca disparut à ses yeux, et son vaisseau l’emporta vers Beyrouth, devenu si célèbre dans ces derniers temps.
Il était destiné à rencontrer là, ou tout à côté, une humeur plus sauvage et une originalité plus dominante que les siennes propres. Lady Stanhope, dont il avait connu la famille, l’accueillit bien, et déploya pour lui plaire ou le subjuguer tous ses frais de magnificence en détresse et de magie orientale ; elle lui fit ses plus beaux récits, lui montra l’avenir, le berça de ses songes, et le laissa tout-à-fait sous le charme, comme le prouve ce long chapitre (le plus grave et le plus mauvais du récit), où il est question de la sorcière, et où, déposant sa marotte et sa grace naturelle, l’auteur devient sérieux pour son malheur et pour le nôtre. Passons vite. C’est à Beyrouth qu’il fait