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de mer. Les hautes fenêtres, pourries aux trois quarts, semblaient près de se briser sous la main qui voulait les ouvrir. Sur les carreaux qui restaient encore, le temps avait collé une couche de poussière qui leur ôtait toute transparence et les changeait pour ainsi dire en verres dépolis. De meubles, on comprend qu’il ne pouvait en être question. Nous étions pourtant trop heureux de rencontrer un pareil gîte, où nous trouvions un abri et de l’espace à deux pas de la mer. Aussi hâtâmes-nous notre installation. On lava les vitres, on remplaça par des feuilles de papier celles qui, manquant dans le bas, laissaient le vent atteindre trop facilement nos tables de travail. Des planches posées sur des chevalets nous improvisèrent de longues et larges tables destinées à porter nos vases d’eau de mer et nos animaux. Nous fîmes nos lits par le même procédé en y joignant nos matelas. Les microscopes furent installés en face des croisées. Avant la fin du jour, tout était prêt, et, après un repas assez semblable à celui de la veille, nous allâmes chercher le repos sur des planches dont nous séparait environ un pouce et demi de laine et de toile.

On quitte sans peine un lit pareil. A l’aube, nous étions sur pied, et tandis que M. Blanchard, son filet à insectes en main, gagnait du côté de la terre, tandis que M. Edwards, monté sur la Sainte-Rosalie, allait poursuivre à quelque distance les habitans de la pleine mer, je me chargeai d’explorer les côtes de la presqu’île. Ma tâche n’était peut-être pas la plus facile. Tout le rivage était entouré d’une zone assez large de calcaire étrangement disloqué. Sur quelques points, cette roche représentait assez bien une énorme éponge déchirée, toute percée de crevasses, de cavités irrégulières, et hérissée de pointes aiguës. Ailleurs, c’étaient de minces feuillets presque régulièrement séparés par de longues et profondes fissures. Il fallait ou se résoudre à faire le manège d’un homme qui monterait et descendrait sans cesse une marche de deux à trois pieds de haut, ou bien enjamber par-dessus les vides en conservant son équilibre et posant le pied tantôt sur une aiguille, tantôt sur une lame de couteau. Quoique habitué dès l’enfance à courir dans les rochers, je fus surpris d’abord de ces difficultés nouvelles, et j’eus besoin d’employer toute mon attention pour ne pas faire quelque chute nécessairement dangereuse.

Au reste, cette structure même de la roche était pour nous une garantie. En pénétrant dans la mer, ces cavités devenaient autant de petits bassins, ces lames de pierre autant de parois protectrices qui ménageaient aux mollusques, aux annélides, aux crustacés, amis du rivage, des retraites commodes et impénétrables pour tout autre ennemi