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pas une simple commémoration, et le sang du Christ y est offert tous les jours[1].

On comprend ainsi que de Maistre ait dit, non sans le motiver longuement, que les sacrifices humains du Mexique et des peuples anciens ou modernes, étrangers au christianisme, avaient leur origine dans la conscience universelle du genre humain, et provenaient d’une vérité tombée à l’état de putréfaction.

C’est de même une cause religieuse qui seule peut rendre pleinement compte de l’excessive rigueur du code pénal des Mexicains, car la pensée de retenir les hommes par la terreur n’en serait pas à elle seule une explication suffisante. Les Mexicains pensaient, ainsi que les druides au rapport de César, que le supplice des coupables était fort agréable à la Divinité.

Il faut dire, à la décharge de ces populations, que les sacrifices humains ne furent pas adoptés parmi les différentes nations du Mexique sans beaucoup de résistance. Les autres peuplades eurent d’abord horreur des Aztèques. Plus tard, le grand roi Nezahualcoyotl combattit long-temps chez ses propres sujets le penchant qui leur avait fait adopter ces boucheries, à l’image et à l’instigation des gens de Tenochtitlan, et il espéra les ramener au culte pur des Toltèques. Cependant, comme il ne pouvait avoir d’enfans de l’épouse qu’il avait ravie au vieux seigneur de Tepechpan, les prêtres lui remontrèrent que c’était l’effet de la colère des dieux, indignés de ce que le sang ne fumait plus sur les autels, et à la fin il céda : de nouveau le sang des hommes fut offert aux dieux ; mais le fils qu’il attendait ne vint pas davantage, et il s’écria : « Ces idoles de bois et de pierre sont incapables de rien entendre ni de rien sentir. Il n’est pas possible que ce soient là les auteurs du ciel et de la terre, et de l’homme roi de la création. Il y a un Dieu plus puissant, invisible, ignoré, qui est le créateur de toutes choses ; lui seul peut me consoler dans mon affliction et me soutenir dans les cruelles angoisses que j’éprouve. » Il se retira dans ses jardins de Tezcotzingo, y passa quarante jours dans le jeûne et la prière, offrant aux dieux l’encens du copal, et faisant brûler sur les autels des herbes aromatiques. Ses vœux furent exaucés. Alors, revenant ouvertement à son antipathie contre les sanglantes superstitions du pays, il érigea le temple dont nous avons parlé, qui était sous la consécration du Dieu inconnu, la cause des causes, et il interdit les sacrifices humains, défendant même de répandre dans le temple le sang des animaux. Après sa mort, qui eut lieu vers 1470, un demi-siècle avant

  1. Voir J. de Maistre, Éclaircissemens sur les sacrifices.